Ça bouge, et vite. À l'horizon 2030, notre expérience de patients n’aura plus grand-chose à voir avec celle que l’on expérimente actuellement. Technologies, approches thérapeutiques, relations avec le corps médical… tout va changer !
Préparez-vous à regarder la médecine d'un autre œil. Car tout ce que vous connaissez déjà va évoluer : aussi bien d’un point de vue technique que d’un point de vue humain. Avec, à coup sûr, une vraie transformation de la relation soignant-patient.
L’hôpital s’installera à la maison
Qui se souvient du temps où une opération de la cataracte nous clouait une semaine au lit dans un service hospitalier ? Aujourd'hui, on rentre à la maison le jour même ! Outre le boom de la chirurgie ambulatoire, de plus en plus de traitements sortent des couloirs de l'hôpital. « Demain, le domicile sera le lieu principal d'organisation des soins », prédit François Bourse, directeur d'études au think tank Futuribles, qui a publié avec le Leem (Les Entreprises du médicament) l'analyse prospective Santé 2030. Aux hôpitaux, les urgences et les pathologies qui nécessitent des équipements de pointe, à la maison, la prise en charge des maladies chroniques. Question de pragmatisme, puisque nos établissements ne peuvent plus accueillir tout le monde… et de confort aussi, puisque l'on se sent souvent mieux chez soi. D'ailleurs, 8 Français sur 10 se disent prêts à tenter l'expérience de l'hospitalisation à domicile*. Un virage entamé il y a dix ans avec l'arrivée des premiers traitements oraux pour le cancer : on peut par exemple prendre certaines chimiothérapies à domicile, d'autant que leur toxicité est désormais mieux contrôlée, avec moins d'effets indésirables. La dialyse chez soi pourrait également concerner 20 % des patients d'ici à 2 030 (contre 7 % aujourd'hui). Les intervenants de l’équipe médicale (aides-soignants, infirmiers…) se relaient auprès du patient, dans son cadre de vie, et des professionnels assurent une permanence téléphonique 24 heures/24 en cas de problème.
La voix des patients va compter
Bonne nouvelle, les patients auront (enfin) voix au chapitre ! « Il y a un changement de paradigme : on passe d'une relation très hiérarchisée à un véritable partenariat. Dans les pathologies chroniques comme le diabète ou les maladies rhumatismales, les médecins possèdent le savoir théorique mais les patients vivent la maladie au quotidien : l'objectif est de mettre ces expériences en commun », explique la docteure Christelle Sordet, rhumatologue au CHU de Strasbourg. Cela passe par la formation de « patients experts », qui accumulent des connaissances et des compétences, pas uniquement pour apporter leur témoignage mais aussi pour aider les autres patients à mieux prendre en charge leur maladie, par exemple en intervenant dans des ateliers d'éducation thérapeutique. Ces « nouveaux profils » côtoient désormais les soignants sur les bancs de la fac dans le cadre de diplômes universitaires ouverts aux patients à Paris (Université des patients de la faculté de médecine Pierre et Marie Curie), Grenoble ou Aix-Marseille. « À l'avenir, les patients experts seront de plus en plus nombreux à être intégrés dans les équipes médicales et pourront également intervenir dans la formation des étudiants en médecine », note le médecin.
Davantage de médicaments sur mesure
Il y a fort à parier que dans dix ans, si l'on souffre de la même maladie que celle qui affecte une amie aujourd'hui, notre prise en charge différera totalement de la sienne. On s'éloigne en effet du vieux principe « une pathologie-un traitement ». « Aujourd’hui, on ne traite plus “un” cancer du sein ou du poumon. Pour une bonne partie des médicaments anticancéreux, on teste des caractérisations génétiques ou cellulaires de la tumeur, très spécifiques au patient, et cet effort pour développer des thérapies ciblées va encore s'accentuer », assure Thomas Borel, directeur scientifique du Leem. Plutôt que dadministrer ou d'injecter un seul produit, on développera des combinaisons de traitements uniques. Une évolution rendue possible grâce à l'intelligence artificielle qui affine les diagnostics, mais aussi aux marqueurs biologiques et génétiques que l'on décode de mieux en mieux. À partir d'une prise de sang ou d'une biopsie, on peut établir la carte d’identité de 20 % des tumeurs ; d'ici à dix ans, ce sera plus de la moitié d'entre elles. Même tendance avec les biothérapies (qui utilisent des anticorps spécifiques) dans la polyarthrite rhumatoïde, les maladies chroniques de l'intestin ou les maladies neurodégénératives du type Parkinson et sclérose en plaques. Bienvenue dans l'ère de la médecine ultra-personnalisée.
Un jumeau numérique en guise de cobaye
La prochaine mutation médicale se passe « in silico », autrement dit sur ordinateur. Imaginez une copie très fidèle de vous-même, avec les mêmes facteurs de risques, les mêmes problèmes de santé ou les mêmes artères tortueuses : c'est ce que l'on appelle un jumeau numérique. « Pour l'instant, il est encore trop compliqué de reproduire le corps entier d'un patient. Mais on sait copier un organe ou une petite partie, comme l'aorte, grâce aux scanners qu'il a passés. On obtient une image en 3D avec la forme et le volume exacts, mais aussi les mêmes propriétés mécaniques, par exemple la rigidité de la paroi artérielle, la présence de calcifications… Ce modèle nous permet de simuler le déploiement d'une endoprothèse pour traiter un anévrisme de l'aorte », détaille le Pr Jean-Noël Albertini, chirurgien cardio-vasculaire au CHU de Saint-Étienne, cofondateur de la start-up PrediSurge. Donc de fabriquer une prothèse parfaitement adaptée et d'anticiper d'éventuelles complications au moment de la pose. « En permettant aux chirurgiens de s'entraîner virtuellement avant une chirurgie ou de visualiser l'organe pendant l'opération au lieu d'opérer à l'aveugle, cette technologie va rendre les interventions plus sûres », s'enthousiasme le Pr Albertini. D'autres start-up travaillent sur les jumeaux numériques avec des prothèses d'épaules ou de genoux parfaitement adaptées à la façon dont on bouge, ou encore un programme qui permet de simuler une opération de la cataracte. Il sera bien pratique de disposer d'un cobaye virtuel qui ne risque rien… pour mieux nous soigner en vrai !
Des mini-organes pour tester nos traitements
Révolution aussi dans les labos : sur une petite puce en plastique de la taille d'un ongle, les chercheurs font « pousser » un mini-cœur, un foie ou des poumons à partir de nos cellules souches (le plus souvent grâce à des cellules de peau). Développées dans un liquide de culture proche du sang, les cellules cardiaques battent en rythme, les cellules pulmonaires respirent… « Ces organes sur puce ont deux intérêts majeurs. En premier lieu, la réduction du coût et de la durée des tests cliniques pour développer de nouveaux médicaments, en évitant notamment les expérimentations sur animaux. Des traitements contre Alzheimer pourront ainsi être testés sur puce afin d'évaluer leur effet réel sur les neuronedes patients. En second lieu, ils permettent de pousser encore plus loin la médecine personnalisée : on pourra par exemple tester différentes chimiothérapies (en fabriquant des tumeurs et des organes sur puce avec les propres cellules du patient) pour trouver la molécule à laquelle le patient répond le mieux », détaille Guilhem Velve Casquillas, ancien chercheur en biologie cellulaire, président de la société Elvesys, laboratoire de recherche et « accélérateur d'entreprises innovantes ». « Ces technologies vont commencer à être utilisées de façon courante d'ici une dizaine d'années », estime le spécialiste. Aucun doute, la révolution des blouses blanches est en marche !
* Source : Enquête Vivavoice pour la Fnehad, nov. 2017.