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03/01/2020

Un bus pour les femmes isolées...

REPORTAGE - Dans ce bus, les femmes peuvent recevoir des conseils juridiques, l’aide d’un psychologue ou bien consulter un médecin.
L’étonnement, d’abord. Puis la curiosité. Les promeneurs jettent des regards interrogateurs et ralentissent. Impossible de louper le bus de la RATP garé là, où plusieurs femmes patientent, place des frères Lumières à Clichy. Repeint en blanc, le visage d’une femme dessiné en rose fluo et l’écriture «BUS SANTÉ FEMMES» en lettres capitales vertes et roses. Pendant ce temps, en face, on s’affaire à installer le marché. L’un dispose ses légumes pendant qu’un autre prépare le matériel pour confectionner un couscous. «Qu’est-ce que c’est?», demande un passant en désignant le car d’un geste de la tête. «C’est un bus pour les femmes, ils font de la prévention», répond un autre.
En effet, dans ce centre médical ambulant, instigué par l’institut des Hauts-de-Seine, les femmes de tous âges, toutes catégories sociales peuvent être dépistées et consulter un médecin, un psychologue, un avocat ou un officier de prévention. Tous sont là pour rompre la solitude des femmes dans certains quartiers. «Il faut faire face à l’isolement social, professionnel et personnel. Une femme seule a plus de risque d’être angoissée, de développer des maladies cardio-vasculaires, de sombrer dans une addiction ou de faire une tentative de suicide», alerte Bénédicte de Kerprigent, la fondatrice de l’Institut des Hauts-de-Seine.
L’autobus a été réquisitionné et customisé pour aller à la rencontre des femmes isolées dans les Hauts-de-Seine et les Yvelines. À l’intérieur, les professionnels disposent chacun de leur espace et une salle d’attente a même été aménagée. Les sièges vieillis multicolores ont laissé place à des banquettes confortables grises décorées de coussins verts et roses. Des orchidées trônent sur chaque table. Des affiches de préventions, notamment au sujet des violences conjugales, ont été placardées sur toutes les vitres rendues opaques. De l’ouverture à 9h30 jusqu’à l’heure du déjeuner, une vingtaine de femmes ont profité des services de ce bus. Assise devant les portes, l’une d’entre elles, âgée d’une soixantaine d’années, complète scrupuleusement une fiche de renseignements, plusieurs plaquettes de prévention étalées devant elle. Elle y inscrit notamment son âge, son état de santé et son degré d’isolement. En France, une personne sur dix vit dans l’isolement, selon une récente étude de l’Insee.
Latifa Lazma, 59 ans, descend du bus souriante. Bonne nouvelle, les résultats de ses analyses sont bons. En passant par hasard sur la place, elle s’est arrêtée et en a profité pour faire un dépistage du cholestérol. «J’ai aussi demandé conseils au policier pour mes démarches administratives.» Pressée de rentrer «faire à manger» à son fils handicapé dont elle s’occupe seule, elle s’assure d’abord de la présence de l’avocat dans l’après-midi. Un rendez-vous qu’elle n’aurait pu prendre dans un cabinet ordinaire faute de «moyens financiers». Les rendez-vous sont cependant très courts. Cinq à dix minutes lorsqu’il y a du monde. «On prend plus de temps si on peut mais l’objectif est d’orienter la personne vers d’autres professionnels pour établir des visites plus pérennes.» Le bureau de Nadine Dalman, la psychologue, a été installé à l’endroit où les sièges des bus se font face, le long des fenêtres. Dans cet espace exigu et insonorisé par une fine cloison, elle a la sensation d’avoir apporté un «réel éclaircissement à toutes les situations». La dizaine de femmes qu’elle a reçues dans la matinée avaient toutes «des questions très précises. Comme si elles gardaient cela en tête depuis des années et n’osaient pas passer la porte d’un spécialiste».
C’est surtout le cas des femmes victimes de violences conjugales ou sous l’emprise de leur conjoint, nombreuses en cette première matinée. Pour rencontrer les experts du bus, certaines femmes ont raconté à leur mari qu’elles allaient faire des courses au marché avant de monter discrètement dans le véhicule. Tout est mis en place pour les accueillir, elles aussi. Certaines, dépendantes financièrement de leur partenaire, demandent des conseils pour divorcer. D’autres ont besoin de mettre des mots sur ce qu’elles subissent. «C’est pour cela qu’il ne faut pas les garder trop longtemps et surtout qu’il ne faut pas qu’il y ait trop de monde», explique le brigadier Philippe Machado. L’homme est officier de prévention au commissariat de Clichy. Pour l’occasion, l’uniforme a été mis de côté, ce qui semble plus rassurant. «Tout dans le bus est fait pour qu’on s’y sente bien et pour faire tomber les barrières.» Il l’admet, les femmes ont plus de facilités à entrer dans le véhicule que dans un commissariat.
Philippe Machado discute longuement avec Soumaya. Celle-ci raconte être harcelée par son ex-conjoint depuis leur séparation, il y a sept ans. «Il continue de venir en bas de chez moi ou de mon travail.» Le brigadier lui a conseillé de déposer une main courante avec demande de convocation. Une aide précieuse pour cette mère de trois enfants qui a dû, seule, trouver le moyen d’éloigner l’une de ses filles de milieux radicalisés. «Ce qu’on dit à l’intérieur reste confidentiel et c’est très rassurant», avoue-t-elle. Malgré tout, «on a peur du regard des gens lorsqu’ils nous voient monter dans le bus».
Le bus santé femmes ne s’arrête que le temps d’une journée dans les villes. Pour cette phase test, il continuera sa tournée ce vendredi 29 novembre à Antony, puis à Rambouillet et à Conflans-Sainte-Honorine les 2 et 3 décembre.
En 2020, l’autobus devrait se déplacer 72 fois dans le département des Hauts-de-Seine et celui des Yvelines.

Selon Mme Morgane Rubetti - Le Figaro - jeudi 28 novembre 2019
 

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