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27/03/2020

Faut-il rouvrir certains marchés?

Porte-parole de la Confédération paysanne, Nicolas Girod appelle le gouvernement à rouvrir certains marchés ou à les transformer en «points d'approvisionnement» alimentaires sécurisés. Il estime que cette crise réconcilie les Français avec ceux qui les soignent et les nourrissent.
Nouvelles solutions pour s’alimenter après la fermeture des marchés, risque de faillite chez les paysans… Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne, le troisième syndicat français dans le secteur, est actuellement confiné dans le Jura avec sa famille et ses vaches laitières qui servent à fabriquer du comté. Il nous livre ses constats et propositions alors que les agriculteurs sont sommés de continuer à travailler pour nourrir la population.

Le ministre de l’Agriculture Didier Guillaume a appelé lundi «ceux qui n’ont plus d’activité» à «rejoindre la grande armée de l’agriculture française». Comment accueillez-vous cette proposition d’aide ?

Nous sommes sceptiques. Il y a en effet, d’un côté, des milliers de personnes qui sont actuellement sans emploi, de l’autre, des besoins de solidarité dans le monde paysan, par exemple pour la récolte des fraises et des asperges, pour la taille des vignes… Mais des questions se posent. Je ne sais pas comment nous allons établir la relation entre les deux populations. Par ailleurs, quel serait le cadre juridique et fiscal adopté ? Nous avons trouvé la sortie du gouvernement un peu légère.
Le gouvernement précise que les revenus issus de l’agriculture viendront compléter l’allocation-chômage ou l’activité professionnelle conservée. En outre, une plateforme sera lancée par Pôle emploi pour mettre en relation les employeurs de la filière et «les Français [qui] peuvent choisir d’aller renforcer la chaîne agricole et Cela ne nous dit toujours pas qui paye : avec quels fonds supplémentaires un paysan pourrait-il rétribuer cette main-d’œuvre ? Nous sommes aussi dubitatifs sur les possibilités de faire traverser la France à des gens pour nous rejoindre en pleine période de confinement. Une fois arrivés sur place, nous ne savons pas non plus comment leur garantir des conditions de travail conformes à la protection sanitaire contre le coronavirus (masques, etc.). Il subsiste trop de flou dans ce plan. A la place, nous encourageons des initiatives locales, notamment en sollicitant des étudiants en formation agricole qui ont une partie de leurs journées de libre.

Cela suffira-t-il ? Certains agriculteurs s’inquiètent de ne pas pouvoir disposer de leur main-d’œuvre habituelle, souvent venue du Maroc ou d’Europe de l’Est, en raison de la fermeture des frontières… En temps normal, nous sommes très vigilants sur les conditions de travail, de rémunération, de logement de ces travailleurs détachés. Le fait que le monde agricole français soit dépendant d’une main-d’œuvre sous-payée, surexploitée voire, hélas, parfois maltraitée, n’a jamais été une solution.

Le Premier ministre a annoncé lundi l’interdiction de tous les marchés en plein air sauf dérogation préfectorale. Comment peut-on réorganiser la distribution alimentaire Pas question de baisser les bras ! Nous comptons sur le pouvoir dérogatoire des préfets pour rétablir des marchés. Nous travaillons également avec le ministère de l’Agriculture sur un projet des lieux alternatifs, qu’on n’appellerait plus «marchés» mais «points d’approvisionnement». Il s’agirait d’une distribution de denrées alimentaires suivant un système de commande préalable. Et, sinon, nous espérons que le gouvernement revienne sur son interdiction générale.

Plusieurs médecins ont pourtant appelé à fermer les marchés, lieux à forte affluence…
Nous maintenons que les marchés peuvent tout à fait respecter les directives de santé : stands espacés et réservés à la nourriture, prix calibrés pour limiter les échanges de monnaie, paniers préparés assez tôt, étalement des horaires de marché, etc. Il est regrettable que, pour quelques marchés présentant des problèmes à cause de flux de population importants, l’ensemble des marchés ait été supprimé. C’est un double gaspillage : alimentaire (que faire de la nourriture produite ?) et économique (qui va payer pour le manque à gagner des paysans ?).

Que pensez-vous de l’appel lancé lundi aux grandes surfaces par Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, pour privilégier les liens avec les agriculteurs français ?
Il est difficile d’admettre que le seul moyen d’écouler les productions locales passe par les supermarchés. Je ne crois pas que ce soit vraiment le seul endroit où peuvent s’appliquer des mesures sanitaires ? Au contraire, avec la fermeture des marchés, leur fréquentation devrait s’accroître de manière risquée… Nous acceptons la main tendue par les GMS [grandes et moyennes surfaces, ndlr] et le gouvernement parce que certains paysans travaillent déjà localement en relation avec ces modes de distribution. Mais le coronavirus ne saurait être en aucun cas une excuse pour concurrencer ou affaiblir encore un peu plus la vente directe (à la ferme, paniers Amap,…) et les marchés alimentaires.
Il y a cette idée très valorisante que les paysans sont indispensables à la population et «nourrissent la France».

On sent bien qu’en cette période, la population se reconnecte avec ce qui est vital, avec les professions qui soignent ou qui nourrissent – des gens indispensables et pourtant payés au lance-pierre. Mais il ne faut pas seulement applaudir les soignants à 20 heures aux fenêtres. Une fois la crise passée, il faudra conserver cette prise de conscience et redéfinir nos priorités et notre modèle de société.
Selon Libération le 25/3/2020