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14/11/2019

Les urgences au Danemark...

Depuis 2014, les habitants de la région de Copenhague doivent appeler le numéro d’urgence 1813 au lieu de se rendre directement à l’hôpital en cas de maladie ou de blessure. Dans le reste du pays, ce sont les médecins généralistes qui s’organisent pour orienter les patients jour et nuit. Un modèle qui a désengorgé les services d’urgences et inspire le gouvernement français enlisé dans la crise des hôpitaux. Mais qui reste perfectible et sous pression.
"Mon rêve, c’est de supprimer les salles d’attente." À l’hôpital Amager, un bâtiment de briques jaunes niché dans un quartier résidentiel au sud de Copenhague, le Dr Jens Henning Rasmussen, chef de service des urgences, fait le tour des deux étages qu’il gère. "Nous accueillons 50.000 patients par an, et dans 90% des cas, il s’agit de blessures bénignes comme des coupures, des chevilles cassées ou des traumatismes de l’œil." Il règne, en cette fin d’après-midi d’octobre, un calme étonnant. Pas de brancards dans les couloirs et des salles d’attente quasi vides. Sur les tableaux d’arrivées des patients, les temps de prise en charge affichés ne dépassent pas les 15 minutes… Bien loin du quotidien des urgences en France, où la grève entamée en mars s’éternise et touche désormais 269 services. Alors que le budget 2020 de la Sécu doit être voté en première lecture à l'Assemblée ce mardi, les collectifs Inter-Hôpitaux et Inter-Urgences organisent d'ailleurs une manifestation devant le ministère des Finances, en amont de la grande mobilisation nationale du secteur hospitalier prévue le 14 novembre. Enlisée dans cette crise, la ministre de la Santé Agnès Buzyn s'intéresse fortement à ce qui se passe au Danemark, ce pays scandinave de 5,7 millions d'habitants souvent érigé en modèle sur les questions sociales. 

En effet, le service des urgences de l'hôpital Amager reçoit 50.000 patients par an (crédit : @Amager Hospital)
Aujourd’hui, les Danois ne sont plus censés se rendre à l’hôpital de leur propre initiative. Confronté au même manque de moyens et à des urgences hospitalières saturées, comment le Danemark a-t-il géré la crise ? En 2007, le gouvernement a entrepris un toilettage inédit des strates administratives du pays. En conséquence, la carte hospitalière a été chamboulée. L’Etat, qui consacre 10,4% de son PIB à la santé (contre 11,1% pour la France), a dépensé près de 6 milliards d’euros sur dix ans dans son plan de transformation des hôpitaux, dont le nombre a été taillé de 40 établissements de proximité à 21 structures plus grosses et spécialisées. Les régions, responsables des soins de premier recours et des urgences, ont dû trouver des solutions pour compenser la fermeture d’hôpitaux. "L’idée n’était pas tant de baisser la fréquentation des urgences mais surtout de soigner les patients au bon endroit, au bon moment et avec un traitement adéquat", résume Helene Bilsted Probst, directrice de l’Organisation du système de soins à l’Autorité de santé danoise.

Aller aux urgences... sur rendez-vous. En première ligne, les médecins généralistes sont devenus les pivots du système de santé danois. Dans quatre des cinq régions du pays, dans le cadre d’un contrat avec les autorités locales, ils se sont coordonnés pour assurer la continuité des soins. Et les patients doivent impérativement passer par un médecin avant de se rendre aux urgences. "En dehors des heures d’ouverture des cabinets, les généralistes se relaient pour répondre à un numéro d’assistance médicale et, si besoin, recevoir en consultations ou rendre visite aux patients. Ils n’envoient vers l’hôpital que les urgences les plus graves", explique Jonatan Schloss, président de l’Organisation des médecins généralistes. À Copenhague, faute d’accord avec les syndicats de médecins, la région a investi 6,48 millions d’euros pour mettre en place un autre système : le numéro 1813.
Depuis 2014, si leur médecin n’est pas disponible, les habitants de la région capitale (1,8 million) doivent composer le 1813 en cas de blessure ou maladie. Ce dispositif cohabite avec le 112, qui reste le numéro à composer en cas d’urgence vitale, sur un site unique à Ballerup, à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Copenhague. "Nous recevons 80.000 appels au 1813 par mois, soit près de 3.000 par jour", se félicite Freddy Lippert, PDG des Services médicaux d’urgence de la région. En 2018, 30% des appelants ont été orientés vers les urgences. Alors, le 1813 connaît en temps réel l’affluence dans les 11 hôpitaux de la région et fixe, selon l’urgence, des rendez-vous adaptés aux patients. "Cela leur permet d’attendre chez eux, plutôt que de venir s’entasser dans les salles d’attente des urgences", souligne Freddy Lippert. Sur le plateau géant où une cinquantaine de soignants se relaient pour répondre aux appels, cette fin de matinée automnale est plutôt ordinaire. Entre minuit et 11 heures, 497 dossiers ont été traités, avec un temps de réponse maximum de 3 minutes trente.Les débuts du 1813 n’ont pas été si faciles. Le service n’étant pas géré par les généralistes, ce sont principalement des infirmières qui répondent aux appels. Des médecins sont certes présents en soutien, mais le système a longtemps été considéré comme un dispositif de "seconde zone". Des cas de méningites mal diagnostiquées au téléphone, ayant entraîné le décès de patients, ont encore récemment mis de l’huile sur le feu. "Nous suivons un protocole très strict de consultation téléphonique, en nous appuyant sur des questionnaires précis pour aider au diagnostic et nous prenons en charge 70% des appels du début à la fin", défend Britta, l’une des responsables des infirmières. Malgré ces polémiques, le 1813 est entré dans le quotidien des Copenhagois. Le cap du million d’appels sur l’année sera franchi en 2019, pour 130.000 appels au 112. Et si la première année, les visites aux urgences ont modestement diminué de 10%, la baisse serait de l’ordre de 20 à 25% sur cinq ans.

Curiosité internationale
A l’hôpital Amager, les urgentistes - qui, en ce jour calme, ont l’air d’attendre le chaland sentent la différence. "Avant, les gens attendaient jusque dans le couloir, et ils pouvaient être agressifs, se souvient Kirsten, médecin. Certains patients sont quand même envoyés ici pour rien. C’est la limite des consultations au téléphone." Reste que pour Frederika, les conditions de travail se sont améliorées : "Nous avons plus de temps pour nous occuper des réelles urgences, ce qui réduit le stress." Dans la salle d’attente, les -rares- patients aussi apprécient. "Ma fille de 11 ans est tombée dans la cour de l’école. Comme nous pensons que sa main est fracturée, nous avons directement appelé le 1813 qui nous a envoyés ici dans un délai rapide", témoigne ce père plutôt serein. Même soulagement pour ce chef trentenaire qui s’est entaillé le doigt avec son couteau de cuisine. "Mon patron a immédiatement appelé l’assistance médicale pour qu’on me donne un rendez-vous aux urgences." Arrivé avec un torchon comme pansement provisoire, il est venu à pied de son restaurant situé dans le quartier et a été pris en charge en quelques minutes.
"Les portes des urgences ne sont pas closes pour autant, mais la procédure est systématiquement rappelée à ceux qui ne respectent pas le parcours mis en place", souligne le Dr Jens Henning Rasmussen. Difficile en effet d’ignorer la règle du jeu : Amager affiche clairement sur sa porte d’entrée la marche à suivre et renvoie vers le 1813 ou le 112. Un téléphone est à la disposition des patients à l’extérieur. Touristes ou résidents récalcitrants, entre 10 et 20% des patients des urgences d’Amager se présentent encore sans avoir été orientés par leur médecin ou par le 1813. Gare à ceux tentés de tricher : "Sauf urgence vitale, ils devront attendre que toutes les personnes qui avaient pris rendez-vous via le 1813 avant leur arrivée soient passées."S’il suscite la curiosité internationale, de l’Allemagne à Israël, en passant par la France où Agnès Buzyn veut mettre en place un numéro unique d’accès aux soins "avant l’été 2020", le modèle danois reste fragile. Sur les trente prochaines années, la population âgée de plus de 75 ans va presque doubler au Danemark. En parallèle, le nombre de patients atteints de maladies chroniques explose. De quoi mettre ce système bien rôdé sous pression. "Il faudra aussi prendre en compte la pénurie de médecins, qui s’aggrave dans notre pays, relève Sidsel Vinge, chef de projet à l’institut d’études Vive, qui a publié un rapport sur le 1813. D’ici cinq à dix ans, des décisions politiques devront être prises. Deux pistes sont sur la table : accélérer l’intégration entre la médecine de ville et les urgences hospitalières, d’une part, et attribuer davantage de tâches aux infirmiers pour compenser le manque de médecins, de l’autre." Le chantier lancé il y a douze ans est loin d’être achevé.
Selon Isabelle de Foucaud - Challenges - mardi 29 octobre 2019