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09/02/2021

Y aura-t-il en France un statut de "réfugié climatique?

Le statut de réfugié climatique n’existe pas dans le droit français, et ne peut donc pas justifier une demande d’asile. Cependant, les demandes de titres de séjour pour raisons médicales liées à la pollution atmosphérique sont possibles, et l’une d’elle a été acceptée à Bordeaux en décembre.
C’est une première en France : le 18 décembre 2020, la cour d’appel administrative (CAA) de Bordeaux a annulé l’obligation de quitter le territoire français (OQTF) d’un Bangladais qui résidait en France depuis 2011 au motif, entre autres, de la situation environnementale dans son pays. L’un des motifs retenu par la Cour était en effet la pollution atmosphérique au Bangladesh, qui mettait sa santé en danger. Décryptage d’une décision qui pourrait avoir des suites juridiques.


Pourquoi ce cas est-il exceptionnel ? A son arrivée en France en 2011, «Sheel» (son prénom a été modifié) a fait une première demande d’asile politique, qui a été refusée. Il fait ensuite une demande de titre de séjour en raison de ses problèmes respiratoires, qui a été acceptée en 2015, et il bénéficiait donc depuis du statut «d’étranger malade», qui n’est pas un statut de réfugié. Mais malgré un avis médical favorable, fin 2019, la préfecture de Haute-Garonne ne renouvelle pas son titre de séjour et lui délivre une l’obligation de quitter le territoire français. Après plusieurs appels, la décision est remontée à la cour d’appel administrative (CAA) de Bordeaux qui a donc finalement annulé l’OQTF en décembre dernier. Dans les motifs retenus par la CAA, on trouve certes la très forte pollution atmosphérique du Bangladesh, mais pas seulement : l’accès aux soins, beaucoup plus difficile sur place, et les risques de coupures électriques qui arrêteraient l’appareil de respiration qu’il utilise la nuit sont tout aussi importants dans la décision.
 
Le côté «exceptionnel» de cette décision réside dans le fait qu’il s’agit de la première qui va dans le sens d’une reconnaissance de la pollution atmosphérique comme un facteur de risque. Mais l’avocat de Sheel n’est pas le premier a avancer cet argument : on trouve sur Légifrance plusieurs cas de demandes de titres de séjour en raison des risques de la pollution atmosphérique pour la santé des demandeurs, souvent asthmatiques, comme à Nantes en 2015 et 2018, ou à Paris en 2016. Toutes refusées, jusqu’au cas de Sheel. Reste à savoir si son cas fera jurisprudence.


Quelles sont les possibles conséquences de cette décision ?
Pour M Louis le Foyer de Costil, avocat au barreau de Paris et spécialisé en droit des étrangers, «rien ne fait obstacle à ce que les juges soient plus proactifs, et aillent dans le sens des avocats qui se saisissent de l’argument climatique, ou sanitaire», mais encore faut-il pouvoir prouver que la situation climatique met réellement en danger la santé du demandeur. «Les juges peuvent aussi refuser ces demandes parce que la pollution est 
forte dans les grandes villes, mais pas dans les campagnes, par exemple. C’est un cas très particulier, et une jurisprudence très fragile.»
Les demandes de titres de séjours pour raisons médicales sont pour certaines encadrées par le ministère de la Santé, mais les directives données n’évoquent pas les problèmes respiratoires. «C’est clair pour le VIH par exemple», explique Lise Faron, spécialiste des questions de droit au séjour pour la Cimade, une association d’aide aux migrants et aux réfugiés. «Toutes les personnes qui viennent d’un pays en développement n’ont pas accès aux soins nécessaires pour le VIH, donc la France les accueille.» Pour elle, la décision de la CAA de Bordeaux ne fera pas jurisprudence, car elle n’est pas suffisante. «Il faudrait une décision qui dit que la pollution atmosphérique doit être prise en compte de manière systématique pour l’appréciation de la prise en charge des pathologies respiratoires.» Et même dans ce cas, il faudrait, selon elle, batailler pour réussir à prouver qu’il s’agit du facteur de risques le plus important, et que c’est un risque généralisé à tout le territoire du pays d’origine de la personne.


Vers un statut de réfugié climatique ?

«Les déplacements et les migrations sont le résultat d’une multiplicité de facteurs qui s’entremêlent. Les facteurs environnementaux en ont toujours fait partie, mais ils augmentent fortement ces dernières années.» Au vu des évolutions annoncées du climat, la Cimade milite ainsi pour la création d’un statut de réfugié climatique, qui s’appliquerait à tous les changements environnementaux qui peuvent pousser des personnes au départ : «une grande sécheresse par exemple, ou au contraire une crue, sont des raisons de départ dues aux changements climatiques, mais ne seront pas reconnues comme telles au moment des demandes de titres de séjour» explique Lise Faron. Maitre le Foyer de Costil est lui aussi favorable à la création d’un tel statut : «Outre la pollution de l’air, si on reste en Asie du Sud-Est, la question de la montée des eaux est de plus en plus pressante, et va probablement mener à des déplacements massifs. Un statut de réfugié climatique faciliterait les procédures.» Pour le moment, aucun statut de ce genre n’est prévu, puisque le terme de réfugié, juridiquement du moins, s’applique seulement aux personnes risquant des persécutions selon la convention de Genève, et ne concerne donc pas les risques environnementaux.

Selon Mme Daphné Deschamps - Liberation - lundi 25 janvier 2021