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29/02/2020

Le coût du cancer en France...

Le plus célèbre oncologue du pays, inventeur du plan cancer en 2003 sous Jacques Chirac et auteur de best-sellers de vulgarisation, sort de sa diète médiatico-politique pour parler "argent". Convaincu que le cancer doit redevenir "une maladie politique" au cœur du débat public, David Khayat a commandé une étude sur son coût économique pour la société. "Aucune évaluation sérieuse n'a été faite depuis celle que j'avais sollicitée en 2007 lorsque je présidais l'Inca [Institut national du cancer] et qui portait sur des données de 2004, regrette-t-il. Or le prix des médicaments s'envole. Le risque d'une médecine à deux vitesses est réel."
Les résultats du travail mené par le cabinet Asterès montrent que le coût du cancer a explosé. En 2017, il s'élevait à 28 milliards d'euros, contre seulement 20,3 en 2004. "Cette trajectoire n'est pas surprenante car la population vieillit et le système de santé, qui nous soigne mieux, est en quelque sorte victime de son succès", nuance Pierre ­Bentata, l'économiste pilote de l'étude. Celle-ci, qui calque la méthode de l'Inca en 2007 et se fonde sur des données publiques, éclaire à la fois le coût direct et indirect de la maladie.
Sans surprise, les dépenses liées aux soins (hospitalisations, médicaments, etc.) pèsent le plus lourdement : en 2017, elles atteignaient 16,5 milliards d'euros, soit une augmentation d'environ 50% par rapport à 2004. "Leur hausse s'explique par l'apparition de traitements plus efficaces mais aussi plus chers et par un plus grand nombre de patients traités", décrypte Nicolas Bouzou, président du cabinet Asterès.
La prévention sauve des vies
Pour calculer le coût direct du cancer (18,3 milliards d'euros), il a fallu ­notamment ajouter à cette somme les montants alloués à la politique de prévention (139 millions pour lutter contre le tabagisme ou l'alcoolisme), de dépistage (172 millions pour financer les mammographies et les kits contre le cancer du côlon) ou la recherche publique (694 millions d'euros).

Pour chiffrer le coût indirect de la maladie, Pierre Bentata a mesuré les pertes économiques liées aux décès précoces. Si les malades avaient survécu, ils auraient continué à travailler et donc à contribuer au PIB de la France. "Nous avons utilisé une notion clé en économie de la santé : celle des années de vie perdues. Ça peut sembler choquant aux yeux du grand public mais c'est un indicateur très éclairant", décode Pierre ­Bentata. Les 2,3 millions d'années de vie perdues en 2017 ont engendré une perte de 9,7 milliards d'euros.
Cette folle addition à 28 milliards d'euros inspire à David Khayat la même conclusion qu'en 2007 : "Ça va coûter de plus en plus cher, donc il faut à tout prix éviter la mort en mettant l'accent sur la prévention, un échec en France, et sur le diagnostic précoce." L'autre levier de progrès, à ses yeux, c'est la rationalisation du coût des soins. Et notamment de celui des médicaments d'immunothérapie : ces traitements révolutionnaires pour certains patients peuvent dépasser les 100.000 euros. "Il y a une paralysie des autorités, constate l'oncologue. La seule chose qu'on a faite, c'est retarder le remboursement. Mais ce n'est pas une solution de long terme et en aucun cas une solution pour les malades."
D'autres voix ont alerté:

Lui estime, à l'instar de Nicolas Bouzou, qu'il faut "repenser les modalités de fixation du prix des médicaments" et "créer un nouveau cadre institutionnel" incitant les ­laboratoires à "fournir les meilleurs traitements au plus grand nombre tout en garantissant la pérennité de leur activité de recherche et de développement". Selon l'oncologue, "plusieurs voies sont possibles" : un remboursement conditionné à l'efficacité du traitement sur des groupes de patients comme en Allemagne, en Écosse ou aux États-Unis ou encore le paiement d'une somme fixe autorisant une utilisation infinie d'un traitement sur une période donnée.
Comme Khayat, quelques voix ont déjà tenté d'alerter sur l'explosion des coûts, et notamment de ceux des médicaments : l'hématologue Jean-Paul Vernant en 2016, la Ligue contre le cancer et le Conseil économique, social et environnemental en 2017. Mais en vain. Alors que la France prépare sa future stratégie décennale et l'Europe son plan contre le cancer, il y a pourtant ­urgence car, au Royaume-Uni, le refus de rembourser certaines molécules onéreuses hante l'actualité.
Pour Jean-Yves Blay, ce genre de débat éthique n'est déjà plus un cauchemar d'outre-Manche. Par ailleurs président du réseau hospitalier Unicancer, le directeur du centre Léon-Bérard à Lyon doit décider ce week-end s'il accepte de donner son accord pour qu'un patient ait accès à un traitement à 60.000 euros non remboursé par la Sécurité sociale. "Si le médicament est donné, ce sera sur le budget de l'hôpital. Ça équivaut au salaire d'une assistante médicale. Mais comment dire non à un médicament qui améliore la survie?" Lui aussi plaide pour "une réflexion" nationale, des "choix de société". "S'ils sont faits, nous arriverons à soigner tout le monde demain." C'est aussi la conviction des auteurs et promoteurs de l'étude.

Selon Mme Anne-Laure Barret - leJDD - dimanche 23 février 2020