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02/08/2019

Résumé d'une partie de l'interview de Melle Greta Thunberg avant son discours devant le Parlement français...

Avant de s’exprimer à l’Assemblée le 23 juillet, la lycéenne suédoise explique à «Libération» son choix de lancer une grève de l’école pour le climat et défend la nécessité d’agir rapidement.

Vous avez choisi de venir parler devant l’Assemblée nationale le 23 juillet. Est-ce parce que vous estimez que les élus français n’agissent pas à la hauteur des enjeux ?
Aucun pays ne fait assez, si on veut rester sous la limite des 1,5°C. J’ai reçu de nombreuses invitations pour m’exprimer devant de nombreux Parlements. J’ai dû décliner pour beaucoup. Cette fois, cela semblait être un bon timing pour la France.

Beaucoup de militants dénoncent l’inutilité des conférences internationales, comme les COP. Vous prévoyez de vous rendre au sommet spécial pour l’Action climatique de l’ONU en septembre, à New York. Pensez-vous que des décisions fortes peuvent en émerger ?
Si je suis toute seule à faire pression, bien sûr que je n’arriverai à rien. Mais si nous sommes nombreux, nous pourrons faire avancer les choses. Beaucoup de gens me disent que la COP 25, organisée au Chili en décembre, n’a pas d’intérêt, car c’est une année intermédiaire dans le processus onusien, qu’il faut se concentrer sur la COP 26 en 2020 [organisée au Royaume-Uni, ndlr]. Mais aucune année n’est une année intermédiaire. C’est maintenant que tout doit se passer. Nous devons saisir toutes les opportunités.

Vos discours sont souvent angoissants. Pensez-vous que la peur est un moteur de l’action ?
Ça l’a été au moins pour moi. Et ça pourrait l’être pour beaucoup d’autres personnes. Il faut informer la population sur ce qui se passe vraiment. Quand ils réaliseront l’ampleur du problème, ils agiront. Quand ils sauront ce qui peut être évité, et comment l’éviter, ils feront ce qui est nécessaire pour cela. Du moins, c’est ce que j’espère.
Lorsque vous dites «ce qui se passe vraiment», que voulez-vous dire ?
Que nous sommes face à une crise existentielle qui n’a jamais été traitée comme telle. Les politiques et les personnes au pouvoir l’ont ignorée pendant des décennies. La population, en général, ne connaît même pas la réalité des bouleversements qui affectent notre planète, notre environnement dont dépend notre civilisation. Ils ne connaissent pas même les données de base. Ce qui est effrayant.

Vous pensez que si les gens commencent à avoir peur, ils agiront, continueront à s’informer ?
Je ne sais pas. Peut-être. Mais on doit au moins essayer de faire connaître la vérité. On ne peut pas continuer à raconter seulement les histoires joyeuses et pleines d’espoir. Les médias, plus particulièrement, doivent commencer à couvrir ­réellement le sujet, à relayer les résultats des nombreux rapports scientifiques et leurs conclusions alarmantes. Tous ces chiffres que beaucoup de gens trouvent ennuyeux mais dont notre survie ­dépend.

A l’école, trouvez-vous qu’on vous enseigne assez le sujet ?
On apprend les bases : le mécanisme de l’effet de serre provoqué par les gaz comme le dioxyde de carbone. Ce qui éventuellement fait augmenter les températures moyennes, exacerbe les événements météorologiques extrêmes, fait fondre la calotte glaciaire, etc. Mais on ne nous enseigne pas cela d’un point de vue historique ou géologique. En fait, quasiment tout ce que je sais sur le sujet, je l’ai appris en passant des milliers d’heures à chercher des informations sur ­Internet, dans des livres.

Vous avez traversé une dépression à l’âge de 11 ans, à cause de cette prise de conscience sur la crise environnementale…
Oui.

Depuis que vous avez commencé votre grève de l’école, en août 2018, n’avez-vous pas envie parfois de tout abandonner et de profiter de votre vie d’adolescente tant que cela est encore possible ?
Non. Je n’ai jamais vraiment eu de vie normale d’adolescente. Avant que je me lance dans cette mobilisation, j’étais une intello. Je passais beaucoup de temps seule, assise à lire. Je n’ai jamais eu d’amis proches avec qui passer du temps. Je ne pense donc pas que je sacrifie beaucoup en me consacrant à la cause environnementale. En même temps, j’aimerais avoir plus de temps, surtout pour aller à l’école. Parfois, c’est épuisant d’écouter des politiques donner des discours sur l’enjeu climatique. Ils profèrent de purs mensonges. Cela me désespère parfois. Je me dis que plus rien n’a de sens. Mais ces moments ne durent pas longtemps. Parce que je n’en ai simplement pas le temps (rires). J’ai décidé de m’impliquer dans ce mouvement et je ferai tout mon possible pour qu’il réussisse.

Vous avez annoncé prendre une année sabbatique pour vous consacrer à la grève pour le ­climat. Pourquoi ?
Ce ne fut pas une décision facile. J’adore l’école et j’aime apprendre. Je m’étais inscrite à des cours pour l’an prochain, mais vers la fin du semestre, je me suis dit : si je dois mener à bien cette mobilisation, je dois le faire maintenant. Je dis tout le temps que nous devons agir dès aujourd’hui et qu’il n’existe aucune excuse valable pour ne pas le faire. Décaler mes études d’une année n’est pas grave. Beaucoup d’étudiants le font, alors pourquoi pas moi ? D’après de nombreuses estimations scientifiques, l’année 2020 est notre dernière chance d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre, si on veut garder une chance de respecter l’accord de Paris sur le climat, et de limiter la hausse des températures en dessous de 2°C, ou 1,5°C.

Est-ce que vous voyez cette décision comme un sacrifice ?
On pourrait le voir comme ça, mais j’avais le choix de ne pas le faire. Bien sûr, je préférerais continuer à étudier en même temps.
Nous avons récemment reçu à Libération un message d’une jeune fille de 13 ans qui se dit anxieuse pour son futur et souffre, car elle réalise que toutes ses actions quotidiennes participent à aggraver les crises environnementales.

Que lui répondriez-vous ?
Elle n’est pas la seule à ressentir cela. C’était un sentiment très fort que je portais avant de débuter ma grève. Le simple fait d’exister nous fait participer au système et alimente cette crise. Je me sentais si désespérée. J’ai alors eu l’idée de cette grève de l’école. J’ai voulu essayer, car c’était nouveau. Et c’est devenu énorme. Il y a tellement de choses à faire. Si tu veux guérir ta tristesse et ton angoisse, agis. C’est le seul remède possible.

Pensez-vous que les petits gestes comptent ?
Bien sûr. Tout compte. Certains disent que ces efforts n’ont pas d’importance, à l’échelle mondiale. Mais arrêter de prendre l’avion ou de manger de la viande permet, d’abord, de réduire sa propre empreinte carbone. Cela envoie, en plus, un signal à notre entourage. Des études montrent qu’arrêter de prendre l’avion touche nos proches, car cela les pousse à réfléchir à leurs propres actions. Si vous ne voulez pas le faire pour vous, faites-le pour eux. Nous avons besoin d’un changement de système. Mais cela n’est possible que si les individus changent aussi.Vous définissez-vous comme ­anticapitaliste ?
Je fais très attention à ne pas utiliser ce type de mots. J’essaye de rapporter seulement ce que dit la science. Avoir une opinion sur la question du capitalisme nécessite de prendre en considération autre chose que le climat. Je veux éviter cela.

Vous pensez tout de même qu’il faut changer notre système ­politique et économique…
Oui. Aucun mouvement politique, aucune idéologie, tels qu’ils existent actuellement, ne convient, comme le montre la situation planétaire actuelle. Nous avons besoin de quelque chose de nouveau.

Avez-vous lu ou entendu parler d’un système qui pourrait fonctionner, selon vous ?
J’ai entendu tellement de choses. Parfois, j’ai l’impression que les gens inventent. Ils présentent des idées qui ont l’air tellement parfaites qu’il me semble impossible qu’elles existent. Sinon quelqu’un les aurait mises en place.
Êtes-vous affectée par le fait d’être ciblée par des campagnes de dénigrement de l’extrême droite ?
Bien sûr que cela m’atteint. Mais, malheureusement, c’est ce qu’on doit supporter quand on soutient une cause : recevoir de la haine, des menaces, être la cible de mensonges. Certaines personnes ne supportent pas de voir des individus s’opposer à leur vision du monde. Elles essayent alors de les écarter. C’est très triste. Mais on peut aussi voir ça positivement. Le fait que ces personnes se sentent menacées est la preuve que notre mouvement fonctionne, que notre message passe.

Comment voyez-vous votre ­futur dans trente ans ? La partie la plus effrayante est qu’on ne sait pas ce qui va passer. Tout est possible. J’aime me reposer sur des routines, sur des emplois du temps. Je ne peux plus. Notre avenir est totalement inconnu. J’ai le sentiment de ne pas avoir le contrôle dessus.

Vous sentez-vous en colère contre la génération de vos parents ?
Je suis en colère contre certaines personnes qui ont échoué à prendre leurs responsabilités. Avant que je ne les convainque de la réalité de cette urgence, mes parents étaient comme les autres. Ils prenaient souvent l’avion, émettaient beaucoup de CO. Moi aussi. J’étais petite, je ne connaissais pas les conséquences de ces actions. Eux non plus. Ce qui les a le plus choqués lors de leur prise de conscience n’est pas que cette crise puisse se poursuivre ou que les politiques soient au courant mais n’agissent pas, mais leur ignorance. Ils savaient que la planète se réchauffait. Mais ils ne connaissaient pas la réalité de l’urgence de la situation, ses conséquences et ce qui était nécessaire pour l’empêcher. Je ne peux pas blâmer les gens qui n’agissent pas, en général. Ils ne sont pas méchants ou mauvais. Ils ne sont juste pas au courant.

Libération-Lundi 15/7/2019