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30/11/2020

Les grandes banques publiques semblent prêtes à se mettre au vert...

Les Banques publiques de développement mondiales prêtes à se mettre au vert? C'est ce à quoi elles se sont engagées jeudi à l'issue du sommet "Finance en commun", organisé (virtuellement) cette semaine à Paris en marge de celui sur la paix. Dans une déclaration finale, leurs représentants prennent l'engagement "de réorienter leur stratégies, investissements et activités pour contribuer à la mise en place des objectifs de développement durable et climatiques" formulés lors de l'Accord de Paris en 2015. L'enjeu n'est pas mince puisque ces institutions représentent à elles seules 10% des investissements mondiaux, soit 2.300 milliards de dollars par an.
Au lendemain de cet événement, le premier du genre, son initiateur et par ailleurs directeur général de l'Agence française de développement (AFD) Rémy Rioux dévoile pour le JDD les enjeux de ces engagements nouveaux. Il revient aussi sur le rôle crucial que ces banques publiques sont amenées à jouer dans la crise causée par la pandémie.
Quels sont les acteurs qui ont accepté de signer la déclaration finale du Sommet?
Nous avons tenu à mettre en tête les grandes associations de banques publiques de développement nationales, de chacune des régions du monde, qui sont trop méconnues. Avec les banques multilatérales de développement et les grandes organisations internationales - FMI, OCDE ou Commission européenne. Quand vous additionnez tous ces acteurs, vous obtenez 450 banques publiques de développement. C'est comme si toutes les Caisses des dépôts du monde, que d'habitude nous n'arrivons jamais à atteindre, s'étaient réunies dans une même coalition. Cela manquait car ce sont ces institutions qui appuient les projets concrets pour la planète et nos populations.

La déclaration comporte un certain nombre de promesses relatives à l'environnement et aux droits humains. Comment s'assurer qu'elles ne restent pas des déclarations de bonnes intentions?
Ce ne sont pas des promesses mais des engagements qu'il va falloir mettre en œuvre! Il faut que chacun des membres de cette nouvelle coalition progresse dans sa façon d'investir et que nous l'aidions à y parvenir. L'année prochaine sera organisé un deuxième Sommet "Finance en commun". Nous allons nous revoir pour définir l'organisation, fixer le cadre de redevabilité. A dire vrai, nous avons déjà abordé un plan d'action pendant les débats qui ont eu lieu cette semaine. Un programme de travail a été évoqué, et des groupes de banques particulièrement engagées ont émergé dans certains domaines comme l'égalité femme-homme, la lutte contre le changement climatique, la biodiversité, les PME en Afrique… Ce plan n'est pas à écrire, il est à formaliser. Le mouvement est déjà lancé, avec force.L'attention de société civile et des médias sera précieuse pour aller dans la bonne direction
Comment s'assurer que les différentes banques publiques ne se livrent pas à une concurrence mais travaillent en coordination?
Notre monde est avant tout bâti sur la coopération. Nous ne sommes pas entre acteurs privés mais publics dont l'objectif n'est pas la rentabilité à court terme. Dans une maison comme l'Agence française de développement, nous n'avons pas l'œil rivé sur les résultats nets et les dividendes qui doivent être versés à la fin de l'année. Chaque année à l'AFD, nous faisons déjà deux milliards d'activité avec les autres banques publiques de développement et avons d'ores et déjà des centaines de cofinancements, d'investissements en commun. L'objectif de la coalition est d'en faire beaucoup plus et surtout de partager les méthodologies et les meilleures façons d'investir.
Un problème soulevé par l'ONG One Campaign ces derniers jours est le manque de transparence, autrement dit savoir où et à qui vont les financements. N'est-ce pas un réel problème?
L'ambition du texte de la déclaration finale, et c'est peu commun dans ce genre de négociations, n'a fait que se renforcer au fil des discussions. Les 450 institutions ont ainsi accepté que l'on se réfère aux normes internationales les plus exigeantes : celles de l'OIT, les principes de l'ONU sur les droits humains, le droit des indigènes, la soutenabilité de la dette... Ce n'est pas rien. C'est une direction claire qui est donnée. Et l'attention de société civile et des médias sera précieuse pour aller dans la bonne direction. Ce n'est qu'une étape, mais une étape suffisamment forte pour ouvrir un dialogue constructif avec les autres parties prenantes et notamment les ONG. Sur les énergies fossiles, les choses ne vont peut-être pas aussi loin que la société civile le voudrait. L'association Réseau Action climat, qui regroupe les organisations qui luttent contre le changement climatique, est elle aussi très critique sur ce thème de la transparence. Elle met notamment en cause l'AFD, qui via sa filiale privée Proparco, fait appel à des partenaires financiers dont l'action est plus ou moins opaque… L'AFD est une banque publique active et exemplaire et nous rendons publiques régulièrement les preuves de notre engagement pour le climat. Si nous nous sommes retrouvés au cœur de cet élan pour bâtir une coalition d'une telle taille, c'est bien parce que toutes les banques publiques qui cherchent des solutions pour lutter contre le changement climatique et les inégalités nous ont fait cette confiance. L'objectif de Réseau Action Climat, comme le nôtre, est de transformer le système financier dans son ensemble pour le rendre compatible avec la lutte contre le réchauffement climatique. Lutter uniquement avec des subventions et de l'aide publique au développement ne sera pas suffisant.
N'y-a-t-il pas une contradiction dans la politique publique française avec un discours très vertueux mais le maintien d'aides aux exportations d'énergies fossiles comme c'est le cas dans un projet de Total en Arctique?
Sur les énergies fossiles, les choses ne vont peut-être pas aussi loin que la société civile le voudrait. Je le comprends. Notre déclaration indique néanmoins une volonté très
claire et inédite d'arrêter le charbon dans la perspective de la COP26, et de réduire le plus vite possible la part de financement des énergies fossiles dans le portefeuille de toutes les banques publiques de développement. Les lignes sont en train de bouger. En Asie, le Président chinois ainsi que le Premier ministre japonais et le Président coréen ont pris l'engagement politique crucial d'atteindre la neutralité carbone d'ici au milieu de ce siècle. Dans la déclaration signée jeudi, les 450 institutions s'engagent à accélérer fortement le financement dans les énergies renouvelables, avec un effort particulier dans les pays pauvres. Il y a aussi la demande formulée par tous les acteurs financiers, y compris les banques commerciales, que les gouvernements définissent à Glasgow l'année prochaine des trajectoires de long terme de transformation de leur mix énergétique, précises et ambitieuses, pour arriver à la neutralité carbone. Quand ce sera fait, tous les acteurs financiers, les banques publiques en tête, s'aligneront et changeront leur façon d'investir.Dans les mois qui viennent, l'idée d'une banque publique fédérale, une sorte de Caisse des dépôts américaine, va forcément être sur la table
En 2009, engagement avait été pris d'aider les pays du Sud dans la lutte contre le réchauffement climatique à hauteur de 100 milliards d'euros d'ici à 2020. Or, cette somme est encore loin d'être atteinte. Comment l'expliquez-vous?
Vendredi dernier, l'OCDE a rendu son dernier rapport qui porte sur 2018 et nous sommes à 79 milliards de dollars. Or, il faut savoir qu'il y a toujours deux ans de retard dans la compilation des chiffres. Donc, nous verrons en 2022 si cet objectif de 100 milliards a été rempli. Pour l'atteindre, il va sans doute falloir accélérer un peu. Mais nous sommes tout de même sur une trajectoire de croissance. Et la France est au rendez-vous. A la Cop 21, avait été pris l'engagement de faire 5 milliards d'euros de finance climat chaque année à partir de 2020. Les derniers chiffres rendus publics par l'AFD fin 2019 montrent que nous sommes déjà à 6 milliards. Ici, nous parlons de flux du Nord vers le Sud. Mais désormais, le sujet est plus large puisqu'il s'agit de faire davantage de finance climat. C'est bien plus de 100 milliards dont nous avons besoin. Le Club IDFC que je préside, c'est déjà 200 milliards par an.
Quel rôle peuvent jouer les banques publiques dans la crise causée par le Covid-19?
Il est double. Par le passé, dans toutes les grandes crises ou à la sortie de celles-ci, les gouvernements ont eu besoin d'instruments financiers publics pour jouer un rôle contracyclique (qui va à l'inverse des tendances économiques conjoncturelles, ndlr). Regardez les années 1930 aux Etats-Unis : avait été créée une banque, la Reconstruction finance corporation, qui était le bras armé du New Deal de Roosevelt. Cela fait aujourd'hui forcément écho au Green new deal, l'engagement politique le plus fort pris par Joe Biden. Dans les mois qui viennent, l'idée d'une banque publique fédérale, une sorte de Caisse des dépôts américaine, va forcément être sur la table. Chez nous, il suffit de voir ce que fait Bpifrance en ce moment pour éviter que notre tissu de PME ne se déchire. Ça, c'est le rôle de court terme, l'urgence. Mais il ne faut pas perdre le fil du long terme. Les banques se demandent déjà comment relancer aujourd'hui tout en ne négligeant pas la crise environnementale et la lutte contre les inégalités. Mais face à l'ampleur de la crise, la priorité ne sera-t-elle pas de sauver l'économie plutôt que la planète?
C'est un risque sérieux. On estime aujourd'hui à 12 000 milliards de dollars l'argent qui n'était pas là au mois de mars et qui est en train d'être injecté dans l'économie mondiale. En France, sur les 100 milliards du plan de relance, 26 vont passer par la Caisse des dépôts. Si on renforce les banques publiques de développement, si elles ont les bonnes méthodologies, si elles se posent les bonnes questions et si elles coopèrent, alors la part des plans de relance qui passe par elles sera de bonne qualité. Ce que nous disons aux gouvernements, c'est : "Utilisez-nous massivement pour réconcilier le court et long terme, qui ne sont pas contradictoires."
L'élection de Joe Biden est-elle une bonne nouvelle?
Le Président Emmanuel Macron avait pris le soin d'organiser le Sommet très vite après l'élection américaine. Il avait vu juste car j'ai senti l'atmosphère changer dans notre grand réseau de partenaires. On a vu la Banque mondiale bouger, certains pays également. Tout le monde est si heureux. Chacun espère que le multilatéralisme puisse être vraiment de retour et se renouveler.
 Selon le JDD-13-11-2020