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24/06/2020

Low Tech ou remettre les basses technologies au service des personnes...

Ce mouvement de promotion des basses technologies, qui a émergé il y a moins de dix ans, propose un nouveau modèle de production, plus local, et surtout plus sobre en ressources.
Chaque mois, Libération creuse une thématique environnementale. Après la chasse, le ski, et la biodiversité, quatrième épisode, la sobriété est-elle notre futur ?
La touffe de végétation qui occupe une grande partie de la pièce détonne dans le cockpit. Le voilier du projet «Nomades des mers» fait étape, ce jour-là, à Puerto Escondido, dans l’Etat d’Oaxaca, au Mexique. «Il commence à faire bien chaud ici», souffle Corentin de Chatelperron, un des fondateurs de l’association Low-tech lab, basée à Concarneau (Finistère). Avec d’autres passionnés, il s’est embarqué dans un tour du monde des innovations sobres. Malgré une connexion internet aléatoire, il nous fait découvrir les inventions «basse technologie» dont regorge l’embarcation et qui lui permette d’être presque autonome en ressources.

Ce qu’on a pris pour une plante d’intérieur luxuriante est en réalité un système d’hydroponie, hors sol, qui permet de faire pousser de la nourriture sans pollution ni engrais. «Nous avons trouvé ce système à Singapour, explique l’ingénieur de 35 ans, la peau hâlée. Les végétaux sont alimentés par les eaux grises du bateau. Ils consomment dix fois moins d’eau que des plantes en terre.» Sur la table de leur «salon» trône une machine à coudre. «Elle est actionnée par un pédalier qui permet aussi, par la force des jambes, de faire marcher un blender, un moulin et une perceuse-meuleuse-ponceuse, détaille Corentin. Cela ne demande pas tant de force motrice que ça, et on fait du sport en même temps.» La visite continue. Dehors, sur le pont du voilier, malgré la lumière aveuglante réfléchie par la mer, on aperçoit une grande cage où s’agitent des insectes. «Ce sont des mouches soldats noirs, reprend le maître des lieux. Leurs larves mangent rapidement les déchets organiques. L’engrais que produit leur digestion est utilisé comme fertilisant, et les larves servent ensuite d’aliments à notre élevage de grillons à bord qu’on utilise comme nourriture.» Cette idée improbable, mais pas moins ingénieuse, leur est venue lors de leur passage à Kuala Lumpur, en Malaisie, où une ferme géante élevant ces mouches a été installée par l’entreprise Entofood pour dégrader les déchets d’un quartier entier et transformer les insectes en aliments. «En France, ce serait tout à fait adaptable à l’échelle d’un quartier pour limiter l’amoncellement dans les décharges et les incinérateurs», assure le navigateur.

Un peu plus loin, on aperçoit une petite éolienne fabriquée à partir de moteurs d’imprimante, ainsi qu’un four solaire «hyperpuissant» qui leur permet de cuire toute leur nourriture. «Avec ce tour du monde, on a voulu redonner une image positive à l’écologie, explique Guénolé Conrad, autre membre actif du Low-tech lab, coincé en France par la pandémie de Covid-19. Si on veut parvenir à une société plus sobre, qui consomme moins de ressources, cela passera par un changement des imaginaires. On ne prône pas un retour à la bougie mais une réflexion sur nos besoins, pour parvenir à éliminer les usages inutiles.» Le carnet de croquis d’objets low-tech dessinés par Corentin de Chatelperron, sur son catamaran à Phuket, en Thaïlande, en 2017.
La low-tech, qui s’est d’abord fait connaître par des inventions «faites maison», comme la cabine de douche à réutilisation d’eau ou le chauffe-eau solaire basse technologie, embrasse aujourd’hui une conception bien plus large, au dire de nombreux acteurs de ce microcosme. Le pouvoir du local: «Il s’agit de remettre les technologies au service des gens et pas l’inverse, de faire sortir l’individu de son statut de consommateur ignorant pour lui redonner une maîtrise sur la technique et sur les externalités des produits qu’il achète, détaille Michel Foata-Prestavoine, ingénieur et membre du réseau OseOns de promotion de la low-tech. L’idée d’un projet low-tech ressemble à la permaculture, dont le but est de constituer un écosystème naturel autonome, mais appliquée aux technologies.» La low-tech, c’est donc autant des techniques, un savoir-faire, qu’une philosophie.Le concept pourrait-il être développé à grande échelle ? Peut-on imaginer de futures filières économiques s’ériger sur le territoire français, comme piliers du plan de sortie de la crise économique actuelle ? «Les initiatives fleurissent à l’échelle locale, assure Guénolé Conrad. Nous encourageons des micro-entrepreneurs à Développer la low-tech ne provoquerait-il pas une fragilisation de certaines filières industrielles et donc une perte d’emplois ? Au contraire, assure Florent Husson, membre du réseau Ingénieurs engagés et un des porteurs de la Semaine des alternatives et de la low-tech, organisée fin août : «Cela signifie plutôt une transformation de la nature des emplois pour les personnes, par exemple, qui travaillent dans la fabrication d’objets high-tech non essentiels. En parallèle, il faudrait revaloriser certains métiers manuels, dans l’agriculture ou l’artisanat.» Moins recourir à la robotisation et la mécanisation rendrait nécessaire la mobilisation de plus de travailleurs.

«Le low-tech est générateur de résilience et de lien social, renchérit Philippe Bihouix, ingénieur et auteur de l’Age des low-tech (Seuil, 2014), la bible des passionnés du sujet. Dans la transition écologique, il y aura des destructions d’emplois, nécessairement, mais pour que cela ne crée pas des souffrances sociales supplémentaires, il faut en anticiper le rythme et assurer la création d’emplois alternatifs. Dans l’agriculture, par exemple, faire évoluer les exploitations vers de la polyculture, sur des parcelles plus petites, développer les circuits courts et la production locale, permet de créer bien plus d’emplois que l’agriculture intensive. Ce sont des choix de société : en valorisant tel ou tel métier, en orientant les dépenses publiques, on peut faire en sorte que plus de Français soient musiciens ou artisans, et non experts en marketing ou en big data.» On verrait sortir du système éducatif plus de plombiers, chauffagistes, couvreurs ou électriciens, dont beaucoup sont actuellement surchargés de commandes. Sur cette lancée, les territoires deviendraient moins dépendants de l’extérieur, et donc plus à même de faire face aux chocs futurs, que ce soit une pandémie ou une crise environnementale.

Selon Mme Aude Massiot - Liberation - lundi 1 juin 2020