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17/01/2021

Aires protégées, est ce la solution pour la biodiversité?

L'efficacité des politiques d'aires protégées dépend du type de zone concernée, de la manière dont elles sont mises en œuvre et de leur acceptabilité par les populations locales. Deux chercheurs appellent à mieux prendre ces éléments en considération.
Tribune. Le One Planet Summit, qui s’est ouvert lundi 11 janvier, s’est fixé pour objectif des avancées dans les domaines de la préservation de la biodiversité. Parmi les objectifs évoqués, celui de placer sous protection 30% de la surface du territoire terrestre est fréquemment mis en avant. Si l’augmentation des surfaces à protéger apparaît comme un outil essentiel pour participer à la conservation des espèces et des écosystèmes, la question de leur efficacité apparaît néanmoins cruciale, en particulier dans les régions tropicales des pays en développement où les niveaux de biodiversité sont les plus élevés. Ainsi, les politiques d’aires protégées sont un outil de politique environnementale fréquemment utilisé, en particulier pour préserver les zones forestières, et un certain nombre de travaux de recherche soulèvent des questions sur leur impact effectif.Tout d’abord, la question de leur localisation est cruciale : le rôle des zones protégées est de mettre à l’abri les écosystèmes menacés par l’activité humaine. On devrait donc s’attendre à ce que les zones choisies pour être protégées soient celles où les pressions économiques sont les plus importantes et menaçantes. Si l’on s’intéresse par exemple au problème de la déforestation au Brésil, les aires protégées, pour être effectives, devraient se situer au plus près des zones de déforestation afin de restreindre l’expansion agricole, qui en est majoritairement responsable. Or, il a été montré par de nombreux travaux que ces aires protégées sont plus souvent localisées dans des lieux faiblement menacés : plus loin des routes et autres moyens de communication ou des zones à forte expansion agricole. Ainsi, il a été montré que les aires protégées situées dans des zones à faible pression économique n’ont pas, ou n’ont que très peu d’impact en termes de réduction de la déforestation. Ce phénomène, appelé «biais de localisation», est fréquemment souligné par les travaux académiques, et interroge la capacité des aires protégées à être autre chose que des éléments de communication et de greenwashing de la part des Etats.


Accès des populations locales
 De plus, la question de la mise en œuvre de ces surfaces protégées est à questionner. Il ne suffit pas qu’une partie du territoire soit déclarée protégée pour que cette conservation entre en vigueur. La capacité des Etats à faire respecter la réglementation est ici centrale. Ainsi, si les aires protégées abritent des espèces animales ou végétales rares et convoitées, une protection faible ne suffira pas nécessairement à détourner les comportements de braconnage. On a encore vu récemment que six gardes d’un parc national de République démocratique du Congo ont été tués, probablement par des braconniers, dans une zone riche en gorilles et éléphants. Les études d’efficacité menées pour estimer la capacité de conservation des aires protégées montrent clairement que leur bonne mise en œuvre dépend fortement des moyens alloués à leur gestion. Par exemple, au Brésil, les aires protégées fédérales connaissent moins de déforestation que les aires protégées gérées par les Etats brésiliens, car celles-ci disposent de moyens plus importants, d’une gestion plus stricte et d’un cadre politique mieux construit. Ici aussi, il est donc nécessaire d’aller au-delà d’un affichage pour donner les moyens aux zones protégées d’être efficaces.
Enfin, les questions relatives aux droits d’accès des populations locales aux ressources des écosystèmes sont des éléments importants de décision. D’un côté, on peut considérer que les écosystèmes forestiers ou marins présentent des caractéristiques de bien global, tels que les réserves de carbone ou le maintien de la biodiversité ; ce qui justifie une démarche internationale pour leur protection. Cependant, il est aussi nécessaire de comprendre que ces ressources constituent pour des populations importantes des éléments essentiels à leurs moyens d’existence. On estime ainsi que plus d’un milliard de personnes dans le monde dépendent des forêts pour leur subsistance. Priver une partie de ces populations des ressources qui seront protégées apparaît donc comme injuste et potentiellement inefficace, voire apparenté à une forme de colonialisme vert. Il est donc crucial de réfléchir à la protection des espaces sensibles en impliquant fortement les personnes et communautés vivant à leur proximité.

Une inefficacité des aires protégées, ainsi que des conflits d’usage des terres, peut renforcer les hostilités quant à leur mise en place. Ainsi, des effacements d’aires protégées, et leur affaiblissement lié à l’autorisation d’activités extractive, ont été observés dans de nombreuses régions tropicales des pays en développement, notamment au Brésil. Localisation, moyens, concertation : au total, il est nécessaire de ne pas se contenter d’éléments d’affichage sur la quantité de surfaces à protéger, mais de réfléchir prudemment aux conditions de leur mise en œuvre, sans quoi nous continuerons à échouer dans la poursuite de nos objectifs de conservation des écosystèmes.
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