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05/09/2020

Sauvons les Koalas avec le WWF...

Il y a deux siècles, les koalas étaient 10 millions. Il en reste moins de 100 000 car l’homme dévaste le royaume de cet inoffensif petit prince des forêts. Au sud de l’Australie et au large d’Adélaïde, Kailas Wild, un arboriste de 35 ans, tente de sauver l’animal fétiche du pays.

Récit de Kai: Kai a beau être rentré depuis des semaines, il ne voit qu’eux quand il ferme les yeux. D’abord, le premier qu’il a sauvé. Un bébé perdu, tout seul, au sommet d’un arbre mort grignoté par les flammes. Viennent ensuite les images de son face-à-face, à 15 mètres du sol, avec cette femelle prostrée sur une branche, exsangue, privée de toute nourriture, dont seuls les gémissements laissaient à penser qu’elle gardait un souffle de vie. Pour lui donner sa chance, il devait coûte que coûte la faire descendre. Dans la mémoire de Kai, des dizaines d’autres images se bousculent : des regards étonnés entre de grandes oreilles poilues, et puis toutes ces plaies à vif qui ne cessent de hanter ses nuits.

L'Australie en larmes devant ses koalas tués dans les flammes:
Kai, 35 ans, a grandi à Sydney. Puis il est devenu élagueur et bénévole dans une association de protection de la vie sauvage. C’était il y a une dizaine d’années. Tout, pour lui, a basculé ce dernier jour de janvier : « J’ai reçu un coup de fil d’un contact, à l’autre bout du pays. Sur l’île Kangaroo, ils avaient besoin d’un arboriste pour grimper dans les arbres au secours des koalas qui n’avaient pas péri dans les incendies. J’ai sauté dans mon “ute” [pick-up] et, après dix-neuf heures de route et une traversée en ferry depuis Adélaïde, j’étais à mon poste. Je n’avais aucune idée de ce que j’allais vivre. » Depuis plus d’un mois déjà, la moitié de Kangaroo est ravagée par les méga-feux de brousse de l’été austral. L’île, qui compte désormais la plus grande population de koalas d’Australie, est en alerte maximale. Au plus fort des incendies, plusieurs centaines d’entre eux, brûlés ou désorientés, ont déjà été ramassés sur les routes. Avec d’autres animaux, ils ont été amenés à l’hôpital improvisé de Sam et Dana Mitchell, au Wildlife Park, véritable « hub » de vétérinaires, où bénévoles et vacanciers se sont vite transformés en infirmiers. Kai arrive au moment où il est possible de retourner dans certaines zones. Là où le brasier n’a laissé que dévastation et silence, on peut commencer à évaluer les dégâts, et même porter secours aux survivants.
Bienvenue au Koala Hospital, le centre qui sauve les koalas des flammes en Australie
« Dans ces immensités noircies, tout se confond. Lorsqu’on marche, il faut conditionner son cerveau à repérer sur les branches ces formes indistinctes qui, en fait, sont des koalas. Avec l’habitude, ils sont assez facilement repérables d’en bas. Certains font appel à un drone ; moi, je les vois. Si je pense que l’animal a besoin d’aide et que les arbres alentour semblent assez solides, je choisis le plus proche pour y grimper. La meilleure méthode consiste à aller le plus haut possible, puis à se balancer jusqu’à la cime de l’arbre où s’accroche le koala. Il faut se poser au-dessus de lui pour qu’il n’ait pas envie de se réfugier plus haut. Alors, avec une perche, je le pousse à descendre et on le récupère en bas. J’ai trouvé comme ça pas mal de “joeys”, des bébés, onze en tout. Eux se tiennent assez bas et il est facile de les attraper.
Australie : reportage sur l'île-refuge des koalas
Il n’y a plus qu’à les glisser dans un sac pour redescendre avec eux. Dans d’autres cas, c’est plus sportif : on est obligé de les surprendre, en les empoignant par-derrière. Sachant qu’on a déjà affaire à un animal en souffrance, il faut éviter que la descente dure trop longtemps, car le stress les épuise encore plus. Et puis il faut faire attention : sous ses airs endormis, le koala peut vite vous mordre. Il ne faut surtout pas mettre la main devant son visage, sinon il peut vous envoyer à l’hosto. J’ai eu pas mal de morsures, heureusement pas trop graves. » Lui, l’amoureux des arbres, a été frappé par l’agilité des koalas mais aussi par leur vulnérabilité une fois au sol, où leurs griffes et leurs longs doigts sont inadaptés au déplacement à quatre pattes.

A la fin de sa mission de quelques semaines, Kai avait secouru plus de cent koalas. Il n’y a pas que dans les arbres qu’il est passé par des hauts et par des bas… Moralement aussi. Dans son journal de bord, il écrit un soir de la première semaine : « Aujourd’hui, ça a été foutrement intense et j’ai pleuré deux fois. » Puis, quelques jours plus tard : « La journée a été lourde en émotions. Parler et pleurer est la seule manière de récupérer. » Bien sûr, il y a des moments de joie, comme celui où il apprend qu’une petite orpheline, la première qu’il a trouvée, celle à qui il a donné son prénom, et qui était si salement brûlée au nez, aux oreilles et aux joues, allait s’en tirer. Mais, pour Kai et pour ceux qui sont spontanément venus à la rescousse des animaux, il n’y a pas que de belles histoires. On n’échappe pas à la détresse. Ainsi pour cette femelle dont les coussinets sont brûlés et les griffes arrachées, infectées ; quelques jours après son sauvetage, les vétérinaires devront se résoudre à l’euthanasier.
Les images d’animaux pris au piège des incendies en Australie ont bouleversé le monde entier. Difficile d’oublier la vidéo d’un koala déshydraté qui, agrippé au cadre d’un vélo, se désaltère à la gourde que lui tend une cycliste. Effarant, quand on sait que ces marsupiaux ne boivent que très rarement de l’eau et qu’ils s’hydratent avec les feuilles d’eucalyptus ! Le 1er février dernier, des photos difficilement supportables de dizaines de koalas morts, broyés par des bulldozers dans une plantation de gommiers, ont provoqué l’ouverture d’une enquête des autorités de l’Etat de Victoria. Pour les militants de la cause animale, ces images ne sont que le reflet de la tragédie, prévisible, écrite par l’homme et infligée à la faune australienne. Le koala en est la partie la plus visible, une icône aux allures de peluche.
Il y a un an, déjà, avant même les terribles feux de brousse, la branche australienne du WWF lançait un cri d’alarme et lâchait une échéance butoir : 2050. A cette date, si la destruction de leur habitat se poursuit, les koalas seront en voie d’extinction. Cinquante ans plus tard, ils auront disparu… Début avril, dans un communiqué, plusieurs associations de protection animale ont demandé que, inscrit depuis 2012 sur la liste des animaux vulnérables, il passe au statut d’espèce en danger. Un premier pas mais qui, selon le conservationniste de la WWF Stuart Blanch, ne suffira pas : « Remonter le statut de protection du koala n’a de sens que si une politique stricte de protection de son habitat est appliquée parallèlement. Si on continue de détruire son domaine vital en rasant des arbres au bulldozer, sans lui assurer le moindre sanctuaire, il disparaîtra. L’Australie doit prendre le lead des pays du monde qui mettent en place une transition vers les énergies renouvelables, afin de créer un climat stable et sûr pour ces marsupiaux et leurs forêts. »
Chaque Etat disposant de sa propre législation, l’Australia Koala Foundation estime qu’aucune loi fédérale ne pourra, sur le territoire australien, le protéger de façon efficace
Jointe début avril dans sa maison du bush, près de Brisbane, Deborah Tabart, ex-reine de beauté devenue l’égérie des koalas, ne décolère pas. Présidente de l’ONG Australian Koala Foundation (AKF) depuis 1988, elle en est à son quatorzième ministre de l’Environnement. C’est dire si les éditos de son journal de bord sont virulents envers Canberra et sa politique de protection de l’environnement. Déjà, en 2015, son ONG avait publié un passionnant rapport intitulé « Imaginez une Australie sans koalas » : « Les choses sont assez simples. Si notre pays n’arrive pas à protéger cet adorable animal, aimé de tous, qui ne tue personne et fait venir des millions de touristes – c’est-à-dire entrer des milliards de dollars dans les caisses de l’Etat –, alors on n’arrivera à rien. Sauver cet animal craquant, totalement inoffensif, permettrait de protéger tous les autres qui vivent dans son environnement et sont moins aimés. » En 2000, partant du slogan très efficace du « No Tree, No Me » (« Pas d’arbres, pas de moi »), l’ONG a proposé de faire passer un Koala Protection Act inspiré de la loi adoptée par les Etats-Unis pour défendre leur emblème : l’aigle à tête blanche.
Chaque Etat disposant de sa propre législation, l’Australia Koala Foundation estime qu’aucune loi fédérale ne pourra, sur le territoire australien, le protéger de façon efficace. L’idée serait donc de ne pas se focaliser sur la protection de l’animal lui-même, mais d’empêcher la destruction de son habitat. L’AKF a ainsi cartographié et listé à travers le pays les arbres qui forment son « home range », son domaine vital ; aussi bien pour se nourrir (environ 40 sortes d’eucalyptus sur les 700 espèces existantes) que pour s’abriter du froid ou de la chaleur. La loi de protection des koalas (KPA) interdirait, entre autres, que l’on puisse toucher à un arbre de cette liste sans avoir d’abord prouvé que ni le marsupial ni son habitat ne seront impactés.
Depuis son retour chez lui, à Sydney, Kai, l’arboriste-sauveteur, est devenu une petite célébrité des réseaux sociaux. Chaque jour, confinement oblige, il partage sur Instagram et Twitter des photos de ceux qu’il a secourus, et donne de leurs nouvelles. On apprend ainsi que certains ont pu regagner le bush. Pour le reste, Kai en est sûr, pas besoin de leur enseigner les gestes barrière… Il écrit : « Juste pour vous rappeler que les koalas sont des animaux solitaires qui pratiquent naturellement la distanciation sociale… »

Selon notre envoyée spéciale sur l’île de Kangaroo Marion Mertens - Paris Match - samedi 15 août 2020

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