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16/07/2020

Planter des milliards d'arbres, est-ce la solution?

Compenser un trajet en avion ou le pompage de pétrole en plantant des forêts à perte de vue. Cette idée en vogue cache de nombreux problèmes pour les écosystèmes comme pour les populations vivant sur les terres de plantations, selon le chercheur sud-africain William Bond.
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Restaurer 350 millions d’hectares de «terres déforestées ou dégradées» d’ici dix ans, afin d’améliorer le stockage du carbone et donc de lutter contre le dérèglement climatique. L’engagement international, pris par de nombreux pays dans le cadre du Challenge de Bonn lancé en 2011 par l’Allemagne et l’Union internationale pour la conservation de la nature, suscite l’enthousiasme de multiples entreprises qui y voient un moyen de compenser leurs émissions de gaz à effet de serre. Pour le chercheur sud-africain William Bond, spécialiste des savanes à l’université du Cap, une grave erreur est en train d’être commise. Dans un article scientifique publié en novembre dans la revue Trends in Ecology and Evolution, il met en lumière plusieurs problèmes derrière ces ambitions.

Comment avez-vous mené vos travaux pour aboutir à cet article ?
J’étudie depuis une trentaine d’années le fonctionnement des savanes et prairies africaines. Mes travaux m’ont permis d’identifier comment sur certains sols, si on y plante des forêts et qu’on les coupe, les écosystèmes originaux ne reviendront jamais. Pourtant, ces prairies et savanes qui existent depuis des millénaires sont extrêmement riches en biodiversité, hébergent des plantes aux rares vertus médicinales et sont cruciales pour l’économie de certains pays africains.
J’ai appris l’existence du challenge de Bonn lors d’une étude de terrain à Madagascar. Cela m’a beaucoup inquiété. Avec d’autres collègues internationaux, nous avons alors décidé d’étudier la faisabilité et les possibles conséquences de projets d’afforestation [quand on plante des arbres là où il n’y en a jamais eu, ndlr] de telle ampleur. Nous n’avons abouti qu’à des bénéfices très faibles en termes de réduction de gaz à effet de serre.
Beaucoup d’entreprises disent être en mesure de respecter les engagements de l’accord de Paris en compensant leurs émissions via ces projets de plantation d’arbres. Qu’en pensez-vous ?

C’est un désastre. Cette soi-disant solution n’en est pas une. Tout d’abord parce que la séquestration du carbone dans le sol par les arbres est un processus très lent, même si les plantations sont bien réalisées. Le seul véritable levier afin de lutter contre le changement climatique à court terme est la réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre. Ce sont aux gouvernements, surtout en Europe et en Amérique du Nord, et aux grandes entreprises de le faire. Planter des milliards d’arbres n’est pas la solution, surtout en Afrique.

Le meilleur moyen de préserver la nature et aider à stocker du carbone est de restaurer les endroits qui ont hébergé des forêts auparavant et ont été déforestés. Il y a en a beaucoup. Dans les villes aussi, il est pertinent de planter des arbres pour enrichir la biodiversité, produire de l’ombre et contrer les îlots de chaleur. Une grande partie du problème est la volonté de fixer un objectif chiffré. Pourquoi 350 millions d’hectares ? C’est un objectif déconnecté des réalités biologiques et sociales de terrain. Il a été fixé à partir de la carte établie par le think-tank américain World Resources Institute. Mais plusieurs travaux scientifiques ont prouvé depuis que cette carte est erronée. On y trouve de nombreuses zones de savanes et prairies naturelles où il ne faut pas planter d’arbres.

Ces objectifs mirobolants sont aussi absurdes d’un point de vue économique. J’ai travaillé, par le passé, pour un organisme de gestion forestière. C’est une industrie qui est bénéfique pour les économies. Mais une fois qu’on aura planté ces millions d’hectares de forêt qui devront être renouvelés pour stocker toujours plus de carbone, que deviendra le bois? A-t-on réfléchi à ce que cela impliquera pour le prix de cette ressource et pour les entreprises qui en dépendent ?
Dans le cadre de la déclinaison africaine du challenge de Bonn, le Cameroun, par exemple, compte restaurer ou reforester l’équivalent d’un tiers de son territoire. Comment cela est-ce possible?


Ils ne peuvent pas le faire d’une manière correcte. Les personnes qui payent pour ces programmes le font avec pour but de séquestrer du carbone. Qui reçoit l’argent ? Qui va en bénéficier dans les pays en Afrique ? Ce sera des ministres, ainsi que les intermédiaires tout au long de la chaîne de commandement qui se réjouiront d’obtenir des dollars américains qui ont une grande valeur sur place. Comment cela se traduit-il pour les habitants sur le terrain qui ne peuvent plus cultiver ces terres, gérer les feux de forêts convenablement et élever leurs animaux dans ces zones maintenant réservées aux forêts ? Ces projets impliquent des transformations sociales massives. La grande majorité du temps, les habitants n’ont pas leur mot à dire. Un autre problème se pose : le choix des arbres plantés. A Madagascar, on voit se développer d’immenses plantations de pins et d’eucalyptus. Ce sont des espèces qui n’existent pas naturellement sur l’île. On ne mesure pas les risques de bouleversement pour les écosystèmes dont dépendent les populations.
Ces financements devraient plutôt chercher à aider l’Afrique à s’urbaniser de manière soutenable et éviter l’énorme pic d’émissions qu’on a vu lors du développement de la Chine par exemple. Cela créerait une réelle différence dans la vie des gens et pour le monde.

Selon Mme Aude Massiot - Liberation - lundi 15 juin 2020

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