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15/06/2020

Lien entre recul de la biodiversité et hausse des pandémies selon des scientifiques...

Un panel d’experts a fait la synthèse des connaissances sur les corrélations entre le recul de la biodiversité et la hausse du nombre d'épidémies comme celle du Covid-19.
C’est un document précieux, qui fait le point sur les liens entre la pandémie du Covid-19 et la crise de la biodiversité. Rédigé par un large panel d’experts de l’environnement et de la santé (du Museum d’Histoire naturelle, du CNRS, de l’INRAE, de l’Institut Pasteur, de l’Anses, de l’OFB, etc.) à la demande de l’ambassadeur à l’environnement, Yann Wehrling, il permet aux pouvoirs publics français de disposer d’un avis scientifique sur le sujet. Mis en ligne le 15 mai sur le site de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB), il se présente sous la forme de 22 fiches répondant chacune à des questions précises, cherchant à expliquer les phénomènes de zoonoses (les maladies et infections dont les agents pathogènes se transmettent naturellement des animaux vertébrés à l’homme) et à établir des recommandations face aux risques de celles-ci. Chacune des fiches, dont le contenu se base sur les travaux publiés dans des revues internationales à comité de lecture, expose quels sont les éléments de consensus et de dissensus scientifique sur la question, quels sont le s manques de connaissances ou les biais analytiques, les besoins de recherche et explore le cas particulier du Covid-19.

Plus d’épidémies: Le rapport permet ainsi d’établir qu’on observe une augmentation du nombre d’épidémies chez l’humain depuis cinquante ans, en particulier d’origine animale, «avec une mortalité très variable entre elles (quelques dizaines de cas pour SRAS-CoV-1 et de 12 000 à 20 000 morts pour les maladies à virus Ebola)». Cette hausse du nombre d’épidémies d’origine zoonotique «peut, pour partie, s’expliquer par la multiplication des contacts entre les humains et la faune sauvage». Certains groupes d’animaux sont plus fréquemment que d’autres à l’origine de zoonoses : ceux présentant une forte proximité génétique et physiologique avec l’espèce humaine (mammifères – primates tout particulièrement –, mais aussi d’autres vertébrés comme les oiseaux) et les espèces à longue cohabitation avec l’espèce humaine : animaux domestiques (suidés notamment), commensaux (ceux qui vivent proches des humains, comme les rats ou certains insectes) et gibier. La présence d’un hôte intermédiaire permettant à l’agent infectieux de devenir pathogène pour l’espèce humaine est possible mais pas obligatoire. Certaines maladies zoonotiques peuvent en effet se transmettre directement de l’animal «réservoir» aux humains (rage, brucellose, tuberculose, Ebola, fièvres à hantavirus, leptospirose).

Lien avec la déforestation:La science «met en évidence de façon croissante des corrélations entre changements environnementaux globaux, perte de biodiversité et des services de régulation associés et émergence ou augmentation de la prévalence de maladies infectieuses», établit le rapport. «Il existe ainsi un fort consensus en faveur d’un lien entre déforestation, dans ses différentes dimensions, et multiplication des zoonoses, en Asie, Afrique et Amérique du Sud», indiquent les scientifiques.
Le développement des infrastructures humaines, et notamment des voies de communication, agit aussi comme un «facilitateur de zoonoses et contribue à les transformer en épidémies et pandémies». Idem pour le développement urbain, qui accroît les risques sanitaires en favorisant les contacts avec certains éléments de la faune sauvage, notamment dans les zones périurbaines. Le lien entre consommation de viande de brousse et maladies infectieuses émergentes «a été établi dans plusieurs cas», constate le rapport. Les risques d’infection sont amplifiés par une méconnaissance des risques sanitaires par les populations, et la demande croissante, en volume et en espèces, pour nourrir un marché de faune sauvage devenu urbain et global. Certes, «les élevages industriels permettent la mise en place de mesures de biosécurité, les risques d’émergence de maladies y sont donc moins fréquents, mais quand l’émergence se produit, une maladie peut s’y propager rapidement et gagner, via les échanges commerciaux, toute une filière de production, comme l’ont montré les épidémies de grippe aviaire».

Aires protégées: ôté solutions, les experts évoquent la tentation que pourraient avoir certains d’éliminer purement et simplement les espèces susceptibles d’être à l’origine de zoonoses. Mais «au-delà des problèmes éthiques qu’elle soulève», cette tentation apparaît «comme une gageure et surtout peut se révéler totalement contre-productive au regard de l’objectif sanitaire recherché et extrêmement coûteuse». Plutôt que d’envisager des éradications, populations humaines, animaux d’élevage et animaux de compagnie «doivent se tenir à distance des hôtes potentiels de pathogènes pouvant être à l’origine de zoonoses». Et quand c’est possible, la vaccination des humains, animaux domestiques ou d’élevage et des hôtes sauvages «constitue une solution éprouvée». Il est aussi nécessaire de «mieux comprendre les relations complexes et très diversifiées que les humains entretiennent avec la faune sauvage» et d’investir «dans la sensibilisation, dans l’éducation», notamment des enfants, afin de réduire les risques d’interactions directes avec la faune sauvage. Les scientifiques estiment par ailleurs qu’il faut développer les aires protégées pour préserver les habitats de la faune sauvage et réduire ses contacts avec les humains. Cette stratégie de développement des aires protégées devrait favoriser le dialogue avec les populations locales, «qui peuvent être des acteurs de la protection de la biodiversité».

Le document identifie un certain nombre de lacunes et de manques de connaissances, et les experts comptent donc poursuivre leurs travaux et enrichir ceux-ci au fur et à mesure des apports de la communauté scientifique. Mais il constitue déjà un état des lieux complet des recherches actuelles, permettant d’aider à analyser les causes de la pandémie de Covid-19, d’en tirer les enseignements et de prendre des mesures préventives pour réduire les risques de survenue d’une nouvelle pandémie. «Référence»: Le but étant, in fine, que ce document «serve de référence pour des travaux qui se poursuivront à l’échelle internationale», avance Yann Wehrling. La Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES, un groupe international d’experts sur la biodiversité équivalent à celui du Giec pour le climat), planche en ce moment sur le même sujet «pandémies et biodiversité», dans le but de rendre une copie aux Etats en septembre, date à laquelle doit avoir lieu à New York un sommet de l’ONU sur la biodiversité. Dans cette optique, et à la lumière du rapport des experts français, Yann Wehrling a transmis ce vendredi une série de recommandations aux sept ministères concernés (Environnement, Affaires étrangères, Agriculture, Santé, Recherche, Outre-Mer, et Economie), qu’il espère voir portées à l’échelle internationale. Parmi les chantiers qu’il souhaite voir ouvrir, figurent le renforcement de la recherche en santé-environnement, une «régulation voire une interdiction des marchés, commerces, et consommations d’animaux sauvages vivants, ou du moins des espèces les plus probablement vectrices de maladies infectieuses», le renforcement de la protection des habitats naturels notamment en zone intertropicale afin de réduire au maximum les brassages homme-faune sauvage et une prudence sur les élevages et les transports d’animaux. Dans tous les cas, si la France venait à adopter et défendre ce type de mesures, elle devrait peser de tout son poids face aux administrations de Donald Trump aux Etats-Unis et de Jair Bolsonaro au Brésil, hostiles à la protection de la biodiversité.
Selon Mme Coralie Schaub - Liberation - dimanche 24 mai 2020

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