Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

12/06/2020

Ateliers de coaching féminin ou féministe...

Cours sur des femmes méconnues, atelier de négociation salariale pour les femmes, découverte de Paris sous l’angle féministe… Du côté du privé comme de l’associatif, l’offre autour de la transmission féministe auprès du grand public se développe et s’est adaptée à la crise sanitaire.
Un mardi soir du monde d’avant, pré-crise sanitaire, dans le XI arrondissement de Paris. Une vingtaine de femmes sortent carnets et ordis pour un cours assez particulier : toutes sont là pour apprendre à négocier leur salaire. La séance de deux heures trente commence par un constat : «Les femmes gagnent en moyenne 10% de moins qu’un homme en France.» Missionné par Gloria Community, une jeune start-up créée en avril dont il est l’associé, Guillaume Da Mota, 35 ans, DRH chez L’Oréal, entend bien contribuer à briser ce statu quo. «Durant les milliers d’entretiens que j’ai fait passer, les femmes se mettent souvent en posture de respect d’autorité, ne veulent pas déranger et n’ont pas la même confiance en elles.

Lors du cours de l'atelier Gloria Community. Photo Stéphane Lagoutte. Myop pour Libération
Le cours du jour se fait dans l’interaction. Evelyne, 46 ans, emmitouflée dans une écharpe rose : «Comment savoir combien je vaux ?» A qui s’adresser, à quels moments, quels arguments utiliser…? Les élèves du jour notent, studieuses, les conseils du DRH. Avant de passer à la pratique lors de deux exercices. Wendy (1), 29 ans, chargée de marketing, lâche : «Je manque de confiance en moi pour demander le salaire que je mérite. En tant que femme, on a une forme d’autocensure, cet atelier devrait m’aider.» Des ateliers en présentiel qui se sont réinventés pendant le confinement dans un format en ligne.
«Temps de formation sur le fond et la forme»
A la tête de Gloria, Florie Benhamou et Laura Lasry, 33 ans, ont eu le déclic féministe en devenant mères. Leur réflexion les a amenées à revoir leurs parcours dans des start-up comme Groupon, Doctolib ou Frichti à la lumière de conditionnements sexistes. Leurs ateliers de gestion de carrière non mixtes (retour de congé maternité, propulser sa carrière) se mêlent à des propositions de sensibilisation ouvertes à tou·te·s (éducation non sexiste, initiation au féminisme, charge mentale). Autant d’initiatives basées sur la conviction qu’on ne naît pas féministe, mais qu’on le devient. A l’expérience personnelle prépondérante pourrait désormais se mêler du «coaching» à l’égalité : Gloria s’inscrit dans le développement récent d’une offre de conseil spécifique auprès du grand public dans le privé tout comme dans l’associatif, depuis longtemps positionné sur ce créneau.
La transmission féministe se fait sous des formes variées. La plus «traditionnelle», celle des associations : depuis sa création en 2009, Osez le féminisme organise deux fois l’an des «Feminist Camps». Deux jours de partage où 150 femmes; mais aussi quelques hommes jonglent entre ateliers techniques (rédiger un communiqué de presse, prendre la parole en public) et thématiques (injonctions à l’épilation, histoire féministe, violences sexuelles, etc). Un week-end similaire a été organisé en janvier par Nous toutes avec 500 personnes. «A chaque événement, il y a systématiquement un temps de formation sur le fond et la forme. On rappelle aussi à chaque fois les chiffres clés, les mécanismes des violences et les numéros utiles», explique Caroline De Haas, 39 ans, du collectif Nous toutes.
«Sensibiliser de façon ludique»
Loin de stopper cette dynamique, le confinement, marqué par une augmentation sensible des violences conjugales et intrafamiliales, a permis au collectif d’amplifier cette sensibilisation. Des formations en ligne gratuites de deux heures trente, animées en visioconférence par Caroline De Haas ou d’autres militantes, ont rencontré un réel succès. En tout, 26 sessions auront eu lieu d’ici le 30 mai et plus de 20 000 personnes auront été formées. Ces séances interactives de deux niveaux donnent des clés pour identifier les différents types de violences, mieux les détecter et accompagner les victimes. «Pendant le confinement, c’est le moyen que j’ai trouvé de me rendre utile. Si on est 200 000 à avoir ces outils en mains, on va faire reculer les violences dans la société», explique la militante, surprise d’un tel intérêt. Une dernière session ouverte à 10 000 personnes est programmée le 30 mai. Un projet d’ampleur permis par une collecte en ligne, dont l’objectif a été rempli en seulement quatre heures. «Je ne sais pas si on pourra pérenniser ces formations par la suite, c’est une question de temps et de disponibilités», note Caroline De Haas.
Le Salon des dames a choisi une autre formule et s’apprêtait à ouvrir fin mars une «école féministe». Un projet repoussé par la crise sanitaire. Céline Bizière, 29 ans, présidente de l’ONG mais aussi docteure en linguistique, compte éduquer le public avec comme accroche la découverte de «femmes qui ont tant fait et sont encore invisibilisées». Du côté du privé, Feminists in the City (ex-Feminists of Paris) s’est fait connaître pour ses visites de Paris (et désormais de plusieurs autres villes de France) sous l’angle féministe : street art, Simone de Beauvoir ou encore la chasse aux sorcières. Une manière pour Julie Marangé et Cécile Fara, 24 ans, diplômées de Sciences-Po et qui ont toutes deux suivi des études de genres en Angleterre de «sensibiliser de façon ludique». On pourrait aussi citer l’agence Nkali Works qui aide les femmes de couleur à faire face aux discriminations au travail.
Ces formations féministes demeurent une niche, mais leur développement «est logique dans le sens où il y a une croissance de l’activité féministe», évalue Christine Bard, historienne spécialiste du féminisme. Caroline De Haas remarque : «Faire de la sensibilisation n’est pas nouveau dans les mouvements féministes, ce qui est nouveau à Nous toutes est de placer la formation comme un outil militant majeur. Le groupe F, ancêtre de Nous toutes, a été pensé comme une sorte d’"armée" d’agents secrets ultraformés sur la question des violences, capable partout où elle passe de convaincre les gens et les faire s’engager.»
«Eveiller les personnes qui peuvent se braquer»
Pour l’historienne, l’offre proposée par Gloria «est nouvelle car c’est du féminisme "pratico-pratique". Avant, c’était un bénéfice que l’on pouvait retirer de la fréquentation de groupes féministes par des échanges informels. Il y a une visée individuelle assumée, pas forcément contradictoire avec des moments plus collectifs.» Elle note également : «Ce qui peut être en rupture avec le passé est qu’une identité militante se concilie avec une activité professionnelle sans se cacher derrière des termes comme "genre", "égalité", "parité". Ça serait un indice d’une plus grande acceptation sociale du terme "féministe".» Sur ce point, le consensus n’a pas été trouvé. Cécile Fara : «S’appeler Feminists in the City est un parti pris, énormément de gens nous disent qu’ils ne comprennent pas pourquoi on utilise ce mot, que ça va empêcher des gens de venir. On veut justement le dédiaboliser.» Gloria a fait le choix contraire. Florie Benhamou explique : «Ayant la volonté de toucher le plus grand monde et d’éveiller des personnes qui peuvent se braquer quand on utilise ce terme-là, on l’a effacé de certaines façons de nous présenter.»
Caroline De Haas voit dans l’essor de ce type d’initiatives «la preuve d’un suractivisme féministe». Une abondance de projets qui «facilite l’organisation de ces formations, il y a vraiment une production intellectuelle variée, abondante et renouvelée», note Christine Bard. Les entrepreneuses voient toutes dans leurs projets une porte d’entrée plus facile au féminisme. «Tout le monde ne se sentirait pas à l’aise de commencer à s’intéresser à ce sujet d’aller dans des associations pour militer car ça devient un engagement plus important. C’est complémentaire», estime Cécile Fara. D’autant plus que les participants sont loin d’être tous déjà sensibilisés. «Pas mal de personnes viennent justement pour découvrir le féminisme», assure Fabienne el-Khoury, porte-parole d’Osez le féminisme. Un constat partagé par toutes nos interlocutrices, qui notent la participation d’une majorité de femmes, souvent jeunes.
Ces créations d’entreprises sont en tout cas un signe que le féminisme est fort aujourd’hui. Mais certaines militantes craignent une récupération commerciale de la cause. Fabienne el-Khoury pondère : «Il faut être vigilant mais c’est une bonne chose que l’on essaie toutes de faire ce qu’on peut pour changer la société.» Céline Bizière abonde : «Rendre à la mode le féminisme permettra à terme, je l’espère une ouverture vers une réelle réflexion. À l’époque, on me traitait de "Simone Veil", pour m’insulter» Aujourd’hui, on n’oserait pas me faire cet honneur.» Des «énormités sont parfois dites», mais l’essentiel est pour elle que «les femmes en sortent plus fortes, un peu plus conscientes, les hommes plus volontaires.» Charge aux participantes d’avoir une certaine vigilance sur le contenu de ces formations. L’historienne estime que ces nouvelles formes hybrides de militantisme doivent s’inscrire en complément d’un féminisme contestataire.
Selon Mme Marlène Thomas - Liberation - vendredi 22 mai 2020

Les commentaires sont fermés.