15/05/2020
Déboucher après la crise sur un monde meilleur d'après le F.M.I...
Kristalina Georgieva, Bulgare de 66 ans, a succédé à Christine Lagarde au FMI en septembre 2019. Quelques mois plus tard, l'ex-commissaire européenne et directrice générale de la banque mondiale affronte la crise la plus grave depuis la Seconde Guerre mondiale. Elle a choisi le JDD pour présenter le plan de bataille de l'institution. La dirigeante affirme que les pays pauvres seront les principales victimes de la pandémie de coronavirus et fait appel à la solidarité pour résister aux tentations du populisme et du protectionnisme.
Le pire de cette crise économique mondiale est-il derrière nous ou devant nous?
Cette crise ne ressemble à aucune autre. Non seulement parce que c'est la combinaison d'une crise sanitaire et d'une crise économique, mais aussi parce que, pour combattre ce virus, nous avons été obligés d’arrêter l'économie, ce qui aggrave les conséquences du choc. C'est la première crise globale depuis la Seconde Guerre mondiale et la grande dépression. Il y a trois mois, nos prévisions étaient que 160 pays bénéficieraient d'une progression de leur revenu par habitant en 2020. Aujourd'hui, nous estimons que 170 pays vont subir au contraire un recul de leur revenu par tête.
Faut-il s'attendre à ce que cette crise dure ? Lors de la grande crise financière de 2008, le dynamisme de l'économie chinoise et des marchés émergents avait stimulé l'économie mondiale. Cette fois, nous ne voyons aucun facteur de nature à accélérer la reprise. En période de crise, on est habitué aux incertitudes, mais cette fois c'est une incertitude d'un genre nouveau. On ne sait pas comment ce coronavirus évoluera. Une longue période de difficultés s'annonce donc pour le monde.
Quelle sera l'ampleur de la récession? Nous prévoyons, pour l'instant, une chute de 3% de la croissance mondiale en 2020 suivie d'une croissance de 5,8% en 2021. Pour atteindre ce bon résultat, il y a une condition : maintenir la pandémie sous contrôle au second semestre. Et s'assurer que le virus ne reviendra pas avant la fin de l'année ou au cours de la suivante. Cela dit, même si nous atteignons ce chiffre de 5,8%, ce qui me semble très incertain, nous serons encore en dessous du niveau de 2019.
Retrouver la croissance suppose de maîtriser ce virus? Le virus a peut-être atteint son point haut dans certains pays mais pas partout. Un haut degré d'incertitude est créé par notre méconnaissance de ce qu'il est. Arriverons-nous à le maîtriser? Si nous trouvons des traitements et un vaccin rapidement, cela apportera un énorme soulagement à l'ensemble du monde. Mais ce n'est pas le cas pour le moment. Nous ne sommes pas encore sortis du bois.
Le redémarrage de l'économie chinoise peut-il jouer un rôle positif? La Chine a été durement touchée au premier trimestre, alors qu'elle était l'épicentre de la pandémie. Nous voyons des signes de normalisation mais, avec la propagation de la pandémie dans d'autres régions, la reprise en Chine se fera dans un contexte marqué par des vents contraires très forts venant de l'économie mondiale. Dans l'ensemble, nous pensons que la Chine devrait enregistrer une croissance légèrement positive cette année.
Faudra-t-il mettre plus d'argent sur la table? Nous pensons en effet qu'il faudra investir plus d'argent. Et notamment dans les marchés émergents et dans les pays en voie de développement. Les actions des grands pays ont été rapides mais on sait qu'il faudra vaincre la pandémie partout pour se sentir en sécurité partout.
Comment va-t-on gérer la dette énorme qui est en train de se constituer? Il est primordial de prendre des mesures budgétaires très fortes car l'économie mondiale est à l'arrêt. Sans ces mesures, on risquerait de très graves dommages à long terme. Oui, il en résultera plus de dettes et de déficit, mais une chose joue en notre faveur : le niveau très bas des taux d'intérêt, qui sont même négatifs dans certains pays. Ils devraient rester bas pour longtemps. Cela rendra la gestion de cette dette plus supportable pour les gouvernements et les entreprises.
Les problèmes de la planète vont-ils passer au second plan? Nous devrons distribuer de façon équitable le poids de l'endettement accumulé dans la lutte contre la crise. C'est une discussion que nous encouragerons car nous voulons aller vers un monde meilleur. Cela veut dire régler des problèmes qui existaient avant cette crise. Par exemple, les inégalités, qui se sont accrues partout dans le monde, sont un vrai fardeau pour nos sociétés. Nous devons aussi rendre nos économies plus résilientes pour encaisser les chocs comme celui du changement climatique. Cette crise est donc aussi un atout. Grâce à la mobilisation qu'elle a déclenchée, nous aurons la chance d'engager des actions qui auraient été politiquement ou socialement difficiles auparavant.
Que fait le FMI pour aider les pays en voie de développement? Jamais dans son histoire, le FMI n'a été sollicité comme il l'est aujourd'hui. Plus de 100 pays se sont tournés vers lui pour obtenir une aide d'urgence financière. Je suis fière que l'on ait déjà répondu positivement à 30 demandes. Ce sont de véritables bouées de sauvetage pour des pays durement frappés par la pandémie et par le choc économique qu'elle provoque. Notre priorité, ce sont les pays les plus faibles. De même que le virus frappe plus durement les personnes dont le système immunitaire est affaibli, le choc économique affecte davantage les pays les plus fragiles. Nous devons les protéger.
Allez-vous réduire encore leur endettement? Avec la Banque mondiale, nous avons appelé à un moratoire sur la dette officielle bilatérale des pays pauvres. Dans le même temps, le FMI souhaite tripler les financements concessionnels qu'il peut offrir à ces pays. Nous pensons qu'ils vont rencontrer des difficultés d'une très haute magnitude. Pourquoi? Parce que leurs banques centrales n'ont pas les moyens de leurs homologues des pays avancés. Et le choc sur ces économies émergentes est démultiplié. Leur système de santé est faible ; ces pays subissent une fuite des capitaux que nous estimons à 100 milliards de dollars ; ils sont victimes de l'effondrement des prix des matières premières qu'ils exportent. En clair, leurs revenus chutent dramatiquement au moment où leurs populations ont besoin de davantage d'aide.
Faut-il s'inquiéter de la chute des prix du pétrole? L'impact provoqué par une demande qui s'est effondrée et une offre trop élevée est dramatique. Le transport, qui représente 60% de la consommation de pétrole, a fortement chuté car les gens restent chez eux et les entreprises ont fermé ou réduit fortement leur capacité de production. Il a fallu un peu de temps pour que les pays producteurs passent un accord pour réduire la production. Mais les grandes économies s'apprêtent à repartir. La relance va arriver, mais elle devra être gérée prudemment. Cela dopera la demande de pétrole et des matières premières. Mais nous pensons que le prix du baril restera bas, autour de 30 dollars, à court et moyen termes.
Etant donné l'ampleur de cette crise, le FMI dispose-t-il de moyens suffisants? La bonne nouvelle c'est que le FMI est dans une situation plus forte pour aider nos pays membres. Nous disposons d'une capacité de prêt de 1 trillion de dollars, soit quatre fois plus qu'avant la crise de 2008. Pour le moment, nous pensons que nos ressources sont suffisantes pour répondre à la demande des pays. Toutefois, cela pourrait changer compte tenu de l'extrême incertitude liée à la trajectoire et à l'impact de la crise. Plus particulièrement, nous voulons être l'institution sur laquelle les pays en développement peuvent compter. Nous voulons les conseiller et les aider.
Propos recueillis par - leJDD - samedi 25 avril 2020
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