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06/11/2019

Pédagogie alternative...

A deux pas d’une école primaire en proche banlieue parisienne, une maman vient de déposer ses enfants sous le préau. Elle marche vers le métro, la tête littéralement plongée dans son livre au point de manquer de heurter un lampadaire. Ce best-seller qui capte tant son attention se vend au rayon pédagogie des librairies : « les Lois naturelles de l’enfant » (Ed. Les Arènes), plaidoyer pour une « révolution de l’éducation » qui raconte une expérience menée auprès d’enfants d’une école de Gennevilliers (Hauts-de-Seine), est un phénomène d’édition. Il s’est écoulé depuis trois ans à 220 000 exemplaires.
L’ouvrage, traduit en treize langues, a fait de son autrice, Céline Alvarez, une icône des classes. En cette rentrée, elle est aussi devenue une marque : sous le label « les lectures naturelles », la pédagogue au regard doux et au discours percutant vient de sortir une collection à destination des enfants : trois contes à lire tout seul dès 5 ans (4,90 €) et un coffret de lettres magnétiques en bois (24,90 €).
Son deuxième essai, « Une année pour tout changer », récit de la mise en œuvre de sa démarche pédagogique auprès de 750 enseignants en Belgique, a été réimprimé quatre fois depuis sa sortie le 4 septembre. Succès, encore. Et pour cause. Qui ne voudrait pas d’enfants « libres, sereins, motivés à l’école et à la maison », la promesse du bandeau de couverture ?
« Tous les éditeurs sont des commerçants »
A ceux qui dénoncent une récupération mercantile de l’angoisse éducative des familles, l’éditeur de Céline Alvarez, Laurent Beccaria, répond par un haussement d’épaules. « Tous les éditeurs sont des commerçants. Mais il n’y a pas de fabrication du phénomène », affirme le patron des Arènes, pas encore remis de son premier rendez-vous avec la pédagogue : « En trente ans de métier, je n’ai jamais rencontré un auteur qui avait un projet aussi puissant. J’ai eu un vrai coup de foudre éditorial et politique. »
« Céline », comme l’appellent ses fans, est entrée par effraction dans le monde scolaire. C’est en chercheuse autodidacte, après des études de linguistique, qu’elle a peaufiné sa démarche pendant presque dix ans, « obsédée » qu’elle était par l’échec scolaire.
A l’époque, elle vivait chichement, des cours particuliers qu’elle donnait. Puis elle a passé le concours de professeur des écoles comme on entre en guérilla intellectuelle. Sa démonstration faite (tous les enfants peuvent apprendre facilement), elle a plaqué le système et consacre aujourd’hui son temps à diffuser ses idées. Son site, qui fourmille de vidéos pratiques, fédère une vraie communauté de convaincus.
Combien lui ont rapporté les 220 000 exemplaires de son premier livre ? « Probablement autour de 400 000 € », cafte un éditeur en sortant sa calculette. L’intéressée reste discrète sur le sujet, martèle être dans une démarche citoyenne. Elle n’est payée pour aucune conférence et son année passée dans les classes en Belgique, sur invitation du ministère de l’Education belge, fut bénévole. Son credo : prouver que la réussite scolaire est à la portée de tous, à condition de respecter une série de principes intangibles dans le développement des enfants. Ces lois, « tout le monde peut se les approprier », relève le chercheur, spécialiste des apprentissages, François Taddeï. « Céline répond à un manque, juge-t-il. Les enseignants ont le souhait de partager des techniques qui marchent et le besoin de participer à la recherche. Les parents aussi. »
« On est dans la pensée magique »
La clé du phénomène est là : Céline Alvarez propose à chacun de devenir le spécialiste de la réussite scolaire de ses enfants. Et c’est tout le problème pour Laurence de Cock, docteure en sciences de l’éducation et adversaire déclarée de la star des librairies. « Pour moi, tout cela participe à un vrai brouillage des fonctions, on est dans la pensée magique, plaide-t-elle. Enseigner est un métier et doit le rester. »
Céline Alvarez a-t-elle des enfants, vont-ils à l’école ? A quoi ressemble le quotidien de
cette femme que tant d’autres ont érigé en modèle ? L’intéressée, sans se départir de son naturel affable et jovial, préfère garder sous cloche sa vie privée, et sur son image, un contrôle à 100 %. De personnel, on ne saura que cela : elle a 36 ans.

Selon Christel Brigaudeau - Le Parisien - dimanche 20 octobre 2019

 

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