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20/09/2019

"J'ai envie de faire partie d'une jeunesse éveillée"!

Depuis quelques jours, un groupe d'adolescents mené par Amel, 18 ans, organise dans Paris des collectes de mégots. En quelques heures ce jeudi après-midi, au Champ-de-Mars, des milliers de ces déchets toxiques, qui prennent plus de dix ans à se dégrader, ont été ramassés.

Son smartphone retentit toutes les dix secondes. Les notifications sur les réseaux sociaux s’enchaînent. Les appels de ses camarades de collecte se multiplient. Amel Talha ne sait plus où donner de la tête, ce jeudi après-midi. A 18 ans, la jeune fille est à l’origine du hashtag #FillTheBottle, devenu viral la semaine dernière sur Twitter, et d’une première collecte de mégots dimanche dernier à Châtelet, largement relayée par les médias et sur les réseaux sociaux. Ce jeudi 8 août, elle remet ça, dans un lieu hautement touristique, le Champ-de-Mars.
Sans surprise, en plein mois d’août, le parc situé au pied de la tour Eiffel est bondé. Ils ne sont qu’une poignée, cinq ou six adolescents tout au plus, assis sur un banc, à s’être réunis pour la collecte après l’appel passé par Amel sur Twitter. Mais le téléphone continue de sonner : «On attend encore du monde», lance-t-elle en s’éloignant du petit groupe. «Je vais me mettre au milieu du parc pour que les gens me voient mieux.» Ça fonctionne, ils sont désormais une vingtaine environ, tous entre 15 et 20 ans. Originaires de la région parisienne, ils ne se connaissent pas et se sont rencontrés en ligne pour la plupart, avec un objectif : ramasser le plus de mégots et de déchets possible.
L’emplacement, «symbolique», a été choisi collectivement : «On a créé un groupe privé sur Twitter avec environ vingt-cinq personnes pour organiser les collectes. On a beaucoup débattu sur le lieu. On hésitait entre les Invalides, les Champs-Elysées et puis, ici, sur le Champ-de-Mars.» Près d’Amel, Thilo, 16 ans, rebondit : «Je vais passer à côté de ce couple qui pique-nique là. S’ils me voient ramasser près d’eux, ils ne pourront pas se permettre de laisser leur paquet de chips traîner, par exemple.» C’est là tout l’enjeu du petit groupe : être le plus visible possible. Sur le terrain et sur les réseaux aussi. A 18 ans à peine, leur discours est déjà bien rodé. Leur volonté inébranlable, celle de sensibiliser au maximum les passants. «Nous voulons réveiller les gens. Leur faire comprendre qu’il est urgent d’agir et que l’heure est grave», tonne Amel. Elle insiste : «Tous les gestes sont importants, aussi petits soient-ils.» Les jeunes enfilent des gants, se divisent en petits groupes et la collecte débute. Au milieu d’eux trône un réservoir d’un peu plus d’un mètre. Il accueillera la récolte du jour.
«Tous responsables»
«J’ai envie de faire partie d’une jeunesse éveillée», clame Amel, le regard au sol, en quête des petits bouts de cigarettes. La jeune étudiante affirme être sensibilisée depuis toujours à l’écologie. Cela, grâce à ses parents : «Chez nous, on trie, on fait du compost et on ne jette pas les déchets par terre.» C’est finalement les cours de SVT, cette année, qui l’ont poussée à passer à l’action : «On a fait un chapitre sur le climat et ce que j’ai appris m’a indignée.»
Elle revendique la stratégie «des petits pas» et n’attend rien des politiques : «Les gros acteurs doivent agir, c’est sûr, mais on ne doit pas se déresponsabiliser pour autant. L’écologie n’est pas une question d’âge. Elle nous concerne tous et on ne peut pas mettre ça sur le dos des générations précédentes. De toute façon, ça servirait à quoi ? Nous sommes tous responsables. Aujourd’hui, on ne peut pas dire : eux ne l’ont pas fait, donc nous, on ne fait rien non plus», enchérit Amel. L’optimisme est d’ailleurs l’état d’esprit général cet après-midi-là.

Au milieu des adolescents, Anne-Laure Beraud, conseillère technique de l’adjoint à la mairie de Paris chargé de la propreté et de la gestion des déchets, est venue donner un coup de main. «Qu’est-ce que je faisais moi à 18 ans ?» se demande-t-elle, impressionnée par la détermination d’Amel. Anne-Laure Beraud a contacté la jeune fille sur Twitter, au lendemain de sa première collecte. Pour ce deuxième rendez-vous, c’est la ville de Paris qui lui a prêté ce réservoir. A la fin de la collecte, la jauge indique que plus de 10000 mégots ont été ramassés.
Un déchet difficile à valoriser
Et après, que faire de tous ces mégots ramassés ? Pour le moment, Amel les stocke chez elle. L’adolescente attend d’en avoir un certain nombre pour les déposer dans une entreprise spécialisée dans le Val d'Oise. Mais peut-on vraiment les recycler ? En France, plusieurs entreprises tentent de créer une filière verte pour valoriser ces déchets toxiques, qui prennent plus de dix ans à se dégrader, mais les résultats sont encore en demi-teinte. Ce n’est d’ailleurs pas la première collecte de ce type qui se tient à Paris.
«Un vieil homme est venu nous poser la question pour savoir ce qu’on allait faire des mégots, expliquent Lucie et Lucile, 15 et 16 ans, originaires de Montfermeil, en Seine-Saint-Denis, on n’a pas su lui répondre», reconnaissent-elles. Mais peu importe pour Amel, un peu plus loin : «Quand on sait qu’un mégot pollue 500 litres d’eau, on a tout intérêt à ne pas les laisser dans la rue.»

Marjorie Lafon - Liberation - jeudi 8 août 2019

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