Cannabis thérapeutique... (17/01/2019)

Deux élus de La République en marche aiguillonnent le gouvernement depuis le printemps en faveur du cannabis thérapeutique. L'un pour soulager ses patients, l'autre revitaliser l'agriculture de la Creuse.
Jouany Chatoux a senti venir la bonne nouvelle. Flairant la rentabilité à venir, l'éleveur de Pigerolles, dans la Creuse, a déjà investi 15.000 euros pour aménager un espace consacré à une production de cannabis thérapeutique… bien qu'une telle culture ne soit pas encore autorisée. Il anticipe car, depuis le printemps, un mouvement en faveur d'une évolution de la législation s'est enclenché à 430 kilomètres de là, à Paris. À l'Assemblée, Jean-Baptiste Moreau, député de la Creuse, et Olivier Véran, député de l'Isère, militent en coulisses pour que soit développé ce mode de soin. Pas forcément pour les mêmes raisons… Le premier, agriculteur, y voit une occasion de développement économique pour son département, l'un des plus ruraux et des moins peuplés de France. Le second, neurologue, considère qu'il s'agit "presque d'une réponse humanitaire" pour certains malades.
Un pas encourageant pour les deux hommes vient d'être franchi. Deux semaines après l'avis positif du comité d'experts qu'elle avait mis sur pied, l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) l'a annoncé jeudi : elle souhaite qu'une expérimentation du cannabis thérapeutique puisse être mise en place avant la fin 2019. Les formes fumées, dont le joint (la combustion est nocive), ne seraient pas concernées mais la plante pourrait être administrée sous plusieurs formes : sprays, gélules, gouttes, suppositoires, patches. "L'idée serait que les experts définissent les conditions générales avant l'été", a détaillé Dominique Martin, le directeur général de l'ANSM. Plusieurs points seront étudiés : lieux de production, circuit de distribution, mode de délivrance.

Multiplier les pare-feu
Ensuite, si sa généralisation est décidée, elle ne donnera pas nécessairement lieu à la rédaction d'un projet de loi. "Ce qui nous éviterait un débat parlementaire durant lequel on nous accuserait de vouloir autoriser le cannabis récréatif", se félicite Véran. "Je me réjouis que nous avancions de manière scientifique et dépassionnée, comme je le souhaitais", abonde la ministre de la Santé, Agnès Buzyn. D'où la nécessité, aussi, de multiplier les pare-feu : "Qui prescrit? Comment mettre ces produits à disposition ? s'interroge-t-elle. Sous quelle forme? Il faut assurer un accès en toute sécurité pour les patients."

Le député de l'Isère recommande que la prescription ne puisse être délivrée que par les médecins hospitaliers spécialisés, et la distribution uniquement assurée par les pharmacies des hôpitaux. Depuis plusieurs mois, celui qui assure toujours des consultations hebdomadaires au CHU de Grenoble s'est trouvé confronté à plusieurs patients qui "ont recours à l'automédication à base de cannabis… avec un certain succès", rit-il. "Je n'ai pas vraiment d'explication scientifique au fait qu'ils aillent mieux, s'étonne Véran. Mais la réalité est qu'ils vont mieux! Certains ont pu par exemple arrêter la morphine."
"Au début, on s'est un peu fait foutre de notre figure" .

En parallèle, Jean-Baptiste Moreau progresse aussi. En octobre 2017 était lancé par le gouvernement le Plan particulier pour la Creuse, destiné à redynamiser le département. Parmi la centaine de projets retenus a émergé l'idée du conseiller régional Éric Correia d'expérimenter, dans la Creuse, la possibilité de cultiver du chanvre pour une utilisation médicamenteuse du cannabis. Depuis, Moreau enchaîne les prises de contact avec les conseillers d'Agnès Buzyn, du Premier ministre et du chef de l'État.
"Au début, on s'est un peu fait foutre de notre figure, se souvient le député. C'était franchement pas gagné…" Pour autant, le chemin est encore long. "Après la décision politique, il faut que l'autorisation de mise sur le marché du médicament soit validée par la Haute Autorité de santé, détaille-t-on au ministère de la Santé. Les prix négociés entre les industriels et le Comité économique des produits de santé…" Et que les agriculteurs creusois obtiennent la licence d'exploitation. Pas de quoi décourager Moreau, qui rêve déjà d'une légalisation du cannabis… récréatif. 

Sarah Paillou - le JDD - lundi 31 décembre 2018

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